«Je n'ai jamais été contre le fait que le Conseil fédéral informe et c'est ce que je suis en train de faire. Mais il fallait placer des limites, le gouvernement en a convenu avec moi.» (Photo © Daniel Rihs)
CHRISTOPH BLOCHER Sa rentrée politique est marquée par la campagne sur la révision des lois sur l'asile et les étrangers, soumises au peuple le 24 septembre. Le ministre UDC de Justice et Police estime qu'un conseiller fédéral ne doit pas mener campagne. Il a pourtant beaucoup de choses à dire, même étonnamment positives sur les étrangers...
Pourquoi nous accordez-vous une interview, puisque vous estimez que votre rôle n'est pas de mener campagne?
Je n'ai jamais été contre le fait que le Conseil fédéral informe et c'est ce que je suis en train de faire. Mais il fallait placer des limites, le gouvernement en a convenu avec moi. Il n'est plus question, par exemple, que nous commandions des sondages tenus secrets, que l'administration écrive de fausses lettres de lecteur ou finance des brochures d'information partisanes...
Dans une campagne, l'information ne peut être que partisane, non?
La limite n'est pas nette, c'est vrai. Nous aurions pu aller plus loin et décider que seuls les parlementaires défendent les objets soumis au peuple. Nous avons voulu conserver un rôle pour le Conseil fédéral: il ne serait donc pas normal que je m'abstienne totalement.
Vous refusez les débats contradictoires. N'est-ce pas difficile de lutter contre votre propre nature?
Mon rôle a changé. Avant, je pouvais jouer celui de l'avocat d'une cause et vanter uniquement les avantages du point de vue que je défendais. Au Conseil fédéral, je dois informer sur tous les aspects d'un problème. Suis-je à ma place, suis-je plus utile dans ce rôle que dans celui que je tenais à l'UDC? Je ferai le bilan d'ici aux élections fédérales de 2007.
Votre retenue n'est-elle pas aussi un moyen de vous protéger de vos propres dérapages, comme lors du discours de l'Albisgütli, la fête de l'UDC zurichoise, où vous avez traité deux requérants albanais de criminels alors qu'ils n'étaient pas jugés et bénéficient de la présomption d'innocence?
Mon discours écrit faisait bien allusion à de «présumés criminels». Mais en dialecte alémanique, ce terme n'est pas courant et je ne l'ai donc pas prononcé oralement. C'était une erreur et je m'en suis excusé, même si le sens de mes propos était clair.
Nous avons publié un sondage dimanche dernier qui donne l'avantage au oui à la loi sur l'asile, mais qui révèle que 27% des Suisses n'ont pas encore d'avis. N'est-ce pas étonnant pour un thème aussi émotionnel et rabâché?
Pour répondre à ce besoin d'information, je vais prononcer une série de conférences d'ici à la votation du 24 septembre. Mais si les gens ne se sentent pas suffisamment informés, ce sont d'abord les médias qui devraient se faire du souci. Au fait, vous feriez mieux de me poser des questions sur le contenu de la votation que sur la manière de mener campagne (rires)...
Ne vous inquiétez pas, nous y venons! Commençons par l'amalgame que vous faites vous-même entre loi sur l'asile et sur les étrangers...
Mais c'est une réalité: les deux lois sont liées. Ceux qui se voient refuser l'asile grossissent les rangs des autres étrangers illégaux qui se trouvent en Suisse. La gauche aurait même voulu aller plus loin et fondre les deux lois en un seul texte traitant de notre politique migratoire.
Pour être cohérent, ne faudrait-il pas qu'au tour de vis dans l'asile réponde une politique de main-d'oeuvre tenant compte des ressortissants des pays pauvres qui vont forcément continuer à venir tenter leur chance en Suisse?
On peut certes parler de discrimination envers les ressortissants des pays extra-européens. Pour ces gens mais aussi pour l'économie, il serait bon que chacun puisse venir tenter sa chance en Suisse. Mais il faut bien fixer des limites, car les migrants ne viennent plus ici comme il y a un siècle, où celui qui n'avait plus de travail repartait voir ailleurs. Aujourd'hui, ils restent, attirés par le haut niveau de nos prestations sociales.
Diriez-vous que la Suisse a un problème avec ses étrangers?
Non, en général, la Suisse n'a pas de problème avec ses étrangers. Nous vivons bien avec eux, nous n'avons pas de ghettos. N'oublions pas que notre pays offre du travail à plus de 20% d'étrangers, ce qui est une forte proportion. Je croise des homologues européens où ce taux est bien plus bas, les problèmes bien plus grands et qui se demandent comment nous faisons...
Tout va bien, donc. Pour l'asile aussi: vous affichez une baisse des demandes plus forte que la moyenne européenne et vous vous félicitez de l'efficacité de la suppression de l'aide sociale pour les requérants frappés d'une non-entrée en matière (NEM). Pourquoi réclamez-vous en plus de nouvelles lois?
Nous ne pourrons guère descendre au-dessous de 10 000 demandes d'asile par année. Actuellement, 85% de ces demandes ne sont pas fondées et nous courons après l'identité de plus de 6000 personnes. Il ne serait pas admissible d'en rester là. Il faut se donner les moyens de décourager ceux qui cachent leur identité. Le système actuel récompense plutôt les tricheurs, puisqu'ils peuvent faire durer la procédure et leur renvoi.
Quel effet attendez-vous de la nouvelle loi?
La révision de la loi doit nous aider à casser le marché des passeurs. De plus en plus de requérants doivent revenir à la maison après un ou deux mois et témoigner qu'il n'est pas possible de profiter de l'aide sociale en Suisse.
Le vice-président du Parti socialiste, Pierre-Yves Maillard, répète que vous feriez mieux de demander à la police de faire son travail contre la minorité de requérants qui alimentent le trafic de drogue. Pourquoi ne sont-ils pas systématiquement tenus enfermés en vue de leur expulsion?
La gauche qui réclame davantage de sévérité policière et judiciaire? C'est de l'hypocrisie! Mais pour répondre à votre question, il faut relever que la masse de ces trafiquants empêche la police d'être systématique. Il est bien plus efficace d'empêcher qu'ils viennent en Suisse et de les faire repartir le plus vite possible s'ils arrivent jusque chez nous.
Parlons du problème des renvois, spécialement dans les pays d'Afrique de l'Ouest, d'où viennent souvent les revendeurs de drogue. Pourquoi ne misez-vous pas davantage sur des accords de réadmission?
Ces pays exigent des contreparties, telles que des accords de libre circulation ou de coopération judiciaire. Je m'engage à fond pour pouvoir passer des accords de readmission, aussi avec ces pays d'Afrique. Mais, pour conclure, il faut toujours être deux...
Que répondez-vous au comité bourgeois, opposé au durcissement de la loi sur l'asile: son président, Markus Rauh, ex-président de Swisscom, estime que vous stigmatisez une ultraminorité de la population?
Dans sa villa, M. Rauh ne se sent peut-être pas dérangé par le problème... Mais qu'il aille demander aux gens qui subissent les conséquences des abus du droit d'asile, s'ils trouvent qu'il ne faut rien faire? Il serait tout aussi ridicule de décréter qu'il ne faut pas se préoccuper des meurtres en Suisse parce qu'il n'y en a qu'une centaine par année!
Si la loi passe, vous engagez-vous à augmenter la part de réfugiés accueillis par la Suisse sur les contingents internationaux du Haut Commissariat aux réfugiés?
Oui, j'ai toujours dit que si nous luttons mieux contre les abus, nous pourrons accueillir davantage de réfugiés reconnus. Nous en sommes à environ 1500 par année et nous pourrions passer à 2000 sans problème, si cela s'avère nécessaire.
Les réfugiés ne posent donc aucun problème?
J'en vois tout de même un: seuls 25% des réfugiés établis chez nous travaillent. J'ai lancé un projet pilote pour favoriser l'intégration des réfugiés sur le marché du travail. La clé de l'intégration passe par le travail. Jusqu'ici, nous nous sommes montrés trop peu créatifs pour améliorer cette situation.
LUDOVIC ROCCHI ET MICHEL JEANNERET
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