lundi 21 août 2006

«La peur empêche la cohabitation»

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Interview
de Judith Giovanelli-Blocher
présidente du comité " 2 x NON "
parue dans

La Biennoise s'oppose à la révision des lois sur l'asile et sur les étrangers, des textes pourtant élaborés par son frère, Christoph Blocher. «Ce n'est pas facile», admet-elle.

Discrimination, décisions arbitraires, non-respect des conventions internationales et de la Déclaration des droits de l'Homme, danger d'exploitation pour les femmes et les enfants: à l'occasion d'une conférence de presse, le comité régional qui prône le double non aux votations fédérales du 24 septembre a dit tout le mal qu'il pensait des deux objets soumis au souverain. La présidente du comité, Judith Giovanelli-Blocher, 73 ans, est écrivain et travailleuse sociale. Rencontre et propos recueillis par Federico Rapini


- Judith Giovannelli-Blocher, qu'est-ce qui vous a poussée à prendre la présidence de ce comité?

- Vous savez, le travail social, c'est ma vie depuis plus de 50 ans. J'ai été très étonnée de découvrir la quantité de travail fournie par ce comité. Les membres cherchaient une présidente et m'ont contactée. J'ai accepté sans hésiter.

- Christoph Blocher est votre frère. Pensez-vous que cela a été un facteur important pour le comité?

- (elle ferme les yeux, joint les mains et prend une profonde respiration) C'est un facteur important pour ceux qui demandent. En ce qui me concerne, je suis attristée de devoir faire ça. Christoph est tout de même mon frère. Néanmoins, je ne m'oppose pas systématiquement à son travail politique. Il ne fait pas que des choses bêtes. Mais j'avoue que ce n'est pas facile. Parfois, j'aimerais que mon frère ne soit pas ministre de la Justice.

- Votre mari est un immigré italien. Vous avez connu, dans les années 70, l'initiative Schwarzenbach, visant à lutter contre la «surpopulation étrangère»...

- Oui. Et plus tard, dans les années 80, on découvrait les Italiens sous un nouveau visage. Tout le monde pensait que c'étaient des criminels, qui ne pensaient qu'à se bagarrer. Aujourd'hui, les Italiens sont tout à fait intégrés et acceptés. On a connu le même phénomène avec les Tamouls, dans les années 90. Malgré la guerre civile qui battait son plein au Sri Lanka, de nombreuses voix se sont élevées pour refuser l'asile à ces gens. «Trop exotiques pour nous», disait-on à l'époque. Quelques années plus tard, les Tamouls sont très recherchés dans l'industrie et sont réputés pour leur sérieux et leur caractère agréable.

- Vous demandez au peuple suisse de donner une chance à tous les immigrés, sans distinction de nationalité?

- Le Conseil fédéral veut gouverner par la peur. La révision de la loi sur l'asile et de la loi sur les étrangers ne met le doigt que sur les aspects négatifs de l'immigration, comme les abus. Je crois qu'on oublie une chose importante: la législation a une responsabilité vis-à-vis de ces personnes, qui viennent travailler, habiter ou se réfugier en Suisse. Les partisans du oui brandissent également la menace terroriste comme argument. En faisant régner un climat de peur, on rend service à ces mêmes terroristes!

- Ce genre de menace ne vous fait pas peur?

- Mais bien sûr! Moi aussi, il m'arrive d'avoir peur. Je suis une dame âgée et de petite stature. J'avoue être impressionnée par les Noirs, qui sont grands et la plupart du temps très costauds. Est-ce que je m'enferme chez moi pour autant? Non. Il faut savoir affronter ses peurs, apprendre à vivre avec. La communauté africaine bénéficie de deux représentants au Conseil de ville, preuve que les mentalités peuvent changer.

- Votre comité estime que la révision de la loi sur les étrangers encourage les travailleurs non ressortissants de l'UE à entrer dans l'illégalité ou dans la criminalité...

- Ces personnes viennent en Suisse pour gagner de l'argent. Sans permis, elles vont soit travailler au noir, soit entreprendre une activité criminelle. La révision met l'accent sur la répression avec des temps d'emprisonnements plus long. Ces personnes préfèrent souvent rester en prison plutôt que de retourner dans leur pays. Il sont nourris, logés et possèdent une chambre chauffée. Et c'est le contribuable qui paye.

- Pourquoi avez-vous emménagé à Bienne?

- (sourire) D'autres journalistes m'avaient posé la même question, il y a quelques années, lorsque je me suis établie ici. Au fil du temps, la raison n'a pas changé: ce que j'aime dans cette ville, c'est sa multiculturalité et son bilinguisme. Un grand nombre d'ethnies cohabitent harmonieusement ici.

- Etes-vous confiante quant à l'issue du vote?

- (elle fait la moue) Je suis très sceptique. Sincèrement, je dirais que le oui va l'emporter. Notre lutte n'a toutefois pas été vaine. J'étais dans le «Comité pour une Suisse sans armée» au moment de la votation populaire. Le score en faveur de cette initiative a surpris tout le monde. Ce résultat a énormément influencé les réformes que l'armée a connu ces dernières années. J'espère qu'il en ira de même avec les votations du 24 septembre.

F. R.

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