mercredi 12 juillet 2006

Aboubakar tourne en rond depuis deux ans aux portes de l'Europe


MAROC
Ils sont des dizaines de clandestins à gamberger derrière les grillages des enclaves espagnoles de Ceuta et Mellila.Siaka et Aboubakar, deux Ivoiriens, surgissent en­tre deux arbres de la «brousse», forêt du nord du Maroc ceinturant l’enclave es­pagnole de Ceuta. Ils ont l’air fatigué et leurs chaussures sont déchirées, à force de marcher pour quémander à manger et de courir pour fuir les militai­res. Avant, ils étaient près d’un millier venus de toute l’Afrique subsaharienne à camper comme eux dans cette forêt pour essayer d’entrer en Europe via Ceuta. Mais la nuit du 28 et 29 septembre, après des mois d’attente et comme d’autres l’avaient fait à Melilla, ils se sont jetés par centaines à main nues sur les barbelés pour les franchir en s’aidant d’échelles artisanales. Certains ont péné­tré la citadelle de Ceuta, mais cinq sont morts. Le campement a été détruit. Beaucoup de mi­grants ont été refoulés en avion vers leurs pays d’origine. De­puis, les autorités espagnoles ont surélevé le double grillage frontalier à plus de 6 mètres.Côté marocain, on voit des mili­taires postés tout le long de la crête qui surplombe la fron­tière.Ils traquent les derniers migrants — une cinquantaine — dispersés dans la forêt. «Nous savions qu’après l’atta­que forcée nos souffrances se­raient bien pires. La sécurité est trop renforcée », explique Siaka, ancien commerçant aujourd’hui âgé de 27 ans. «Il n’y a que ceux du Bengladesh et du Pakistan qui arrivent à en­trer. Eux ils ont de l’argent pour payer des mafias».«Ceux qui restent ici, c’est les « mains vides ». On ne sait pas quoi faire, on souffre encore plus qu’en Côte d’Ivoire où il y a la guerre», explique à son tour Aboubakar, ancien conducteur de camion de 24 ans. «Mais je ne peux pas rentrer chez mes pa­rents avec cette blessure!», con­fie- t-il en sortant de sa manche une main mutilée. Il se souvient de cette fameuse nuit de l’assaut massif où il a perdu deux doigt : «Ils ont tiré à balles réelles». . Siaka et Aboubakar avaient été arrêtés et emmenés à la frontière mauritanienne. Ils s’étaient en­fuis pour revenir à pied jusque dans la forêt de Ceuta. «Je compte surtout sur Dieu» Ils savent qu’une grande confé­rence sur la migration a lieu en ce moment à Rabat, convoquée après les drames de septembre et octobre 2005 aux grillages des présides espagnols. Trois mi­grants de plus sont morts la se­maine dernière à Mellila, contre 14 à l’époque. Siaka espère que les politiques «vont décider des bonnes choses, pas seulement pour le développement de l’Afri­que, mais aussi pour les gens dans la forêt.». Mais il s’avoue sceptique: «Je compte surtout sur Dieu» Les deux amis pensent à des­cendre en Mauritanie pour ten­ter de traverser à bord d’embar­cations de fortune jusqu’aux îles Canaries, nouvelle voie de pas­sage depuis la fermeture de la frontière à Ceuta et Melilla. 10 000 migrants y auraient ac­costé depuis le début de l’année. Les deux Ivoiriens craignent cette solution : «Ces derniers temps, beaucoup de nos amis avec qui on mangeait sont restés dans l’eau.»
ARMANDINE PENNA
RABAT

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