Lire l'opinion d'Amilcar Cunha dans 24heures
«Est-il moralement acceptable de pousser dans la clandestinité des travailleurs qui n’ont commis comme seul délit que le simple fait de travailler?»
Début mai au-dessous de Vevey: le temps est magnifique, le lac et les montagnes se dévoilent dans toute leur splendeur. Une maison juste devant moi est en rénovation, c’est là que j’ai rendez-vous avec mes militants, il est 9 h 00, les ouvriers font leur pause et je descends leur parler.
Les discussions pour la nouvelle CCT du second oeuvre romand sont en cours et je leur apporte les derniers résultats; les questions sont nombreuses et la discussion est animée.
Un des ouvriers aux traits sud-américains reste silencieux et essaie de s’éloigner. Je lui demande s’il ne s’intéresse pas à ses conditions de travail, il me répond de manière évasive qu’il doit retourner à son travail.
Je comprends qu’il ne veut pas parler devant ses camarades de travail. Comme lui, j’en ai vu beaucoup d’autres venus d’Amérique du sud, mais aussi des Balkans, de Pologne, d’Afrique et d’ailleurs. Ils travaillent dur comme les autres ouvriers, ils vivent presque normalement, mais il leur manque quelque chose… Je lui donne ma carte de visite et l’invite à passer me voir au secrétariat avec son contrat de travail et ses feuilles de salaire, convaincu qu’il ne le fera pas.
Le lendemain en fin de journée mon sans papiers est là dans mon bureau devant moi, il est venu avec ses feuilles de salaire qui font mention de toutes les déductions légales et son employeur lui verse un salaire correct. Je lui dis qu’il a de la chance que tout soit en ordre.
Il me demande alors de manière très naturelle s’il peut demander des papiers pour lui et sa jeune épouse qui travaille comme femme de ménage depuis plus de cinq ans.
Je cherche les mots qui puissent lui faire le moins mal pour lui dire qu’il n’a aucune chance de régulariser sa situation et qu’il peut être arrêté par la police et expulsé avec son épouse s’il en fait la demande. Il essaie de comprendre pourquoi et s’exclame: «mais je n’ai rien fait de mal, travailler n’est pas un crime.» Est-il moralement acceptable de pousser dans la clandestinité des travailleurs qui n’ont commis comme seul délit le simple fait de travailler? Selon les personnes de mon entourage liées aux milieux religieux et ceux qui ont fait de la défense des migrants un sacerdoce, il est évident que non.
La minorité des citoyens de ce pays qui sont à l’origine de la nouvelle Loi sur les étrangers défendue par leurs lobbyistes et leur tribun à Berne, nous diront que personne n’est censé ignorer la loi et qu’il faut attraper les fautifs, y compris leurs employeurs qui sont passables d’amendes allant jusqu’à un million de francs et cinq ans de prison, (art. 116, 117 de la LEtr).
Cette même minorité, qui a fait des migrants leur fond de commerce depuis longtemps, veut faire croire aux citoyens que l’immigration est une menace plutôt qu’une ressource, et qu’à l’avenir tous les immigrés qui viendront travailler en Suisse seront blonds aux yeux bleus et bardés de diplômes.
Réaliste? Crédible? Laissons juger le peuple qui, le 24 septembre prochain, doit se prononcer sur les deux nouvelles lois fédérales, LEtr et LAsi. Déjà beaucoup de citoyens, à l’exemple de Mme Ruth Dreyfuss et M. François Couchepin, s’engagent pour faire barrage à ces deux lois inhumaines et discriminatoires qui font déshonneur à la Suisse.
Aux USA, des millions de travailleurs étrangers, d’employeurs et d’humanistes défilent pour des lois plus morales, plus dignes. Le 17 juin à Berne, nous ferons de même, nous serons juste un peu moins nombreux mais nous serons tout autant déterminés.
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