vendredi 16 juin 2006

Non, travailler n'est pas un crime

Lire l'opinion d'Amilcar Cunha dans 24heures
«Est-il moralement acceptable de pousser dans la clandestinité des travailleurs qui n’ont commis comme seul délit que le simple fait de travailler?»
Début mai au-dessous de Vevey: le temps est magnifique, le lac et les montagnes se dévoilent dans toute leur splendeur. Une maison juste devant moi est en rénovation, c’est là que j’ai rendez-vous avec mes mili­tants, il est 9 h 00, les ouvriers font leur pause et je descends leur parler.
Les discussions pour la nou­velle CCT du second oeuvre romand sont en cours et je leur apporte les derniers résul­tats; les questions sont nom­breuses et la discussion est animée.
Un des ouvriers aux traits sud-américains reste silen­cieux et essaie de s’éloigner. Je lui demande s’il ne s’intéresse pas à ses conditions de travail, il me répond de manière éva­sive qu’il doit retourner à son travail.
Je comprends qu’il ne veut pas parler devant ses camara­des de travail. Comme lui, j’en ai vu beaucoup d’autres venus d’Amérique du sud, mais aussi des Balkans, de Pologne, d’Afrique et d’ailleurs. Ils tra­vaillent dur comme les autres ouvriers, ils vivent presque normalement, mais il leur manque quelque chose… Je lui donne ma carte de visite et l’invite à passer me voir au secrétariat avec son contrat de travail et ses feuilles de salaire, convaincu qu’il ne le fera pas.
Le lendemain en fin de jour­née mon sans papiers est là dans mon bureau devant moi, il est venu avec ses feuilles de salaire qui font mention de toutes les déductions légales et son employeur lui verse un salaire correct. Je lui dis qu’il a de la chance que tout soit en ordre.
Il me demande alors de ma­nière très naturelle s’il peut demander des papiers pour lui et sa jeune épouse qui travaille comme femme de ménage de­puis plus de cinq ans.
Je cherche les mots qui puis­sent lui faire le moins mal pour lui dire qu’il n’a aucune chance de régulariser sa situa­tion et qu’il peut être arrêté par la police et expulsé avec son épouse s’il en fait la de­mande. Il essaie de compren­dre pourquoi et s’exclame: «mais je n’ai rien fait de mal, travailler n’est pas un crime.» Est-il moralement accepta­ble de pousser dans la clandes­tinité des travailleurs qui n’ont commis comme seul délit le simple fait de travailler? Selon les personnes de mon entou­rage liées aux milieux reli­gieux et ceux qui ont fait de la défense des migrants un sacer­doce, il est évident que non.
La minorité des citoyens de ce pays qui sont à l’origine de la nouvelle Loi sur les étran­gers défendue par leurs lob­byistes et leur tribun à Berne, nous diront que personne n’est censé ignorer la loi et qu’il faut attraper les fautifs, y compris leurs employeurs qui sont passables d’amendes al­lant jusqu’à un million de francs et cinq ans de prison, (art. 116, 117 de la LEtr).
Cette même minorité, qui a fait des migrants leur fond de commerce depuis longtemps, veut faire croire aux citoyens que l’immigration est une me­nace plutôt qu’une ressource, et qu’à l’avenir tous les immi­grés qui viendront travailler en Suisse seront blonds aux yeux bleus et bardés de diplô­mes.
Réaliste? Crédible? Laissons ju­ger le peuple qui, le 24 sep­tembre pro­chain, doit se prononcer sur les deux nou­velles lois fédérales, LEtr et LAsi. Déjà beaucoup de ci­toyens, à l’exemple de Mme Ruth Dreyfuss et M. François Couchepin, s’engagent pour faire barrage à ces deux lois inhumaines et discriminatoi­res qui font déshonneur à la Suisse.
Aux USA, des millions de travailleurs étrangers, d’em­ployeurs et d’humanistes défi­lent pour des lois plus mora­les, plus dignes. Le 17 juin à Berne, nous ferons de même, nous serons juste un peu moins nombreux mais nous serons tout autant déterminés.

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