mercredi 3 mai 2006

Gare au syndrome du tiroir

LIre l'édito de Didier Estoppey dans le Courrier
Blocher a beau aimer crier à l'hypertrophie administrative: il adore les rapports. Les deux documents présentés hier par l'Office fédéral des migrations (ODM) ont été commandés à ses services par le conseiller fédéral dès son arrivée à la tête du Département fédéral de justice et police, début 2005. Et viennent s'ajouter à d'autres volumineuses recherches déjà menées sur d'autres aspects de la politique migratoire fédérale. Il est cependant à craindre, vu les premières conclusions qui en sont tirées, que ces deux nouveaux rapports suivent la même direction que leurs prédécesseurs: le tiroir. A l'image de cette autre enquête qui établissait l'an dernier la présence d'au moins 90000 travailleurs clandestins en Suisse. Sans qu'on n'entrevoie la moindre réflexion en vue de leur régularisation.
Dommage. Car le rapport sur l'intégration publié hier par l'ODM est riche en enseignements. Si ceux-ci ne sont pas fondamentalement nouveaux, leur addition, les corrélations à établir entre eux et les pistes esquissées représentent une somme sans précédent en Suisse sur les difficultés du pays à intégrer ses différentes communautés immigrées.
Les étrangers sont, plus que les Suisses, touchés par le chômage et la paupérisation? Les jeunes étrangers sont, plus que leurs contemporains à passeport à croix blanche, exclus de la formation professionnelle et du marché du travail? L'ODM se bornera à dresser l'état des lieux. Et à égrener quelques formules creuses.
Pour le reste: circulez, il n'y a rien à voir. Même s'il est fier d'avoir été désigné en début d'année par le Conseil fédéral pour coordonner la politique suisse d'intégration, le directeur de l'ODM, Eduard Gnesa, avoue benoîtement que son office dispose, en tout et pour tout, de 14millions par année pour venir stimuler les efforts en la matière. Et qu'aucune demande de crédit supplémentaire n'est en vue. A chaque département de réfléchir à ses possibilités, se justifie le haut fonctionnaire. Tout en renvoyant la balle aux cantons et à ce fédéralisme qui fait le génie helvétique.
C'est que l'ODM peine à coordonner ses propres services. Son rapport sur l'intégration se gausse d'une situation finalement satisfaisante, compte tenu du fait que la Suisse est un des pays comptant la plus forte proportion d'étrangers (21,8%). Bizarrement, on ne vient nulle part nous rappeler que ce taux s'explique largement par des procédures de naturalisation particulièrement restrictives en Suisse. Alors que, hasards du calendrier, l'ODM publiait hier aussi un rapport sur les naturalisations. Un rapport dressant, en substance, un constat d'impuissance après le double échec en votation, en 2004, des deux projets de naturalisation facilitée. Tout au plus l'ODM se risque-t-il à encourager les cantons et les communes appliquant encore de longs délais de résidence, en sus des douze ans exigés au plan fédéral, à les réduire.
Dire qu'Eduard Gnesa n'a rien à proposer pour faciliter l'intégration des étrangers serait toutefois mentir. Le chef d'office a eu le cynisme de saisir hier cette nouvelle occasion d'encourager le peuple suisse à accepter en votation, le 24 septembre, les lois sur l'asile et les étrangers.
On voit qui commande à l'ODM. La criminalisation et la répression sont d'ailleurs les seules mesures, ou presque, d'ores et déjà prises au plan fédéral pour répondre aux défis posés par les difficultés d'intégration. Des statistiques policières intercantonales complètes rendront bientôt possibles des comparaisons permettant une meilleure vue de la criminalité étrangère. Et de pondre de nouveaux rapports qui feront sûrement très plaisir à Christoph Blocher.

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