mardi 13 décembre 2005

Genève se heurte à un mur contre les sans-papiers


Lire l'entretien de Martine Brunschwig avec Didier Estoppey dans le Courrier

La conseillère nationale et ancienne conseillère d'Etat Martine Brunschwig fait le point sur l'impasse rencontrée par son canton dans sa volonté de régler la question des travailleurs sans statut légal.

L'heure de la retraite est loin d'avoir sonné pour Martine Brunschwig Graf. A peine avait-elle remis, lundi 5 décembre, les clés du Département des finances et de la présidence du Conseil d'Etat à ses successeurs qu'elle sautait dans le train pour Berne, où se tient la session d'hiver du Parlement. Parmi un menu chargé: la nouvelle Loi sur l'asile et celle sur les étrangers, dont les durcissements ont largement alimenté la chronique, et que les Chambres doivent adopter en vote final vendredi. Deux lois que la libérale s'apprête à refuser avec l'ensemble de la gauche et une poignée d'élus du centre droite, principalement latins. L'occasion de faire le point avec l'ancienne magistrate qui a mené, pour son canton, des négociations en vue de la régularisation de 5000 travailleurs sans statut légal.

Avec la Loi sur l'asile, les Chambres s'apprêtent à adopter celle sur les étrangers, qui ne laisse pratiquement aucune place aux travailleurs extra-européens. Ça laisse mal augurer de la réponse à la demande genevoise de régularisation...
Martine Brunschwig Graf: Effectivement. La réponse officielle de Berne n'est pas encore tombée, il reste quelques points techniques à régler. Mais il n'y a guère lieu d'être optimiste. J'ai pu constater lors de ces négociations l'absence totale de volonté politique de régler la question des sans-papiers, non seulement à Berne mais aussi dans les autres cantons que nous avons essayé d'approcher. Genève se retrouve totalement seul dans cette négociation. On nous objecte qu'une régularisation créerait un appel d'air, alors qu'il vient de lois inappliquées, ouvrant la porte à tous les abus. Mais on préfère continuer à se voiler la face, alors que la preuve est faite que notre économie a besoin de ces dizaines de milliers de travailleurs non qualifiés qui, même sans statut légal, ont trouvé leur place chez nous. On favorise ainsi des conditions de travail qui vont bien au-delà du dumping salarial... Et on s'interdit toute réflexion à long terme: alors que nous sommes en plein questionnement sur l'avenir de nos assurances sociales, on évacue tout scénario permettant de compenser le vieillissement de la population par une politique migratoire bien pensée.

Les quatre conseillers nationaux libéraux, reprenant les critiques des Eglises et des organisations de défense des droits humains, ont vertement condamné le durcissement de la Loi sur l'asile. Vous refusez le suivisme à l'égard de l'UDC?
–Ce n'est pas une question de stratégie politique, mais de valeurs fondamentales. Malgré les améliorations boiteuses apportées au maintien de l'aide d'urgence pour les requérants déboutés, l'ensemble de cette loi reste scandaleux dans son esprit. Les dispositifs mis en place relèvent de la chasse aux sorcières. Mais la Loi sur les étrangers est pire encore. Non seulement elle ferme les dernières portes à la régularisation des sans-papiers, mais en remettant en question le droit à un permis d'établissement après dix ans de séjour, elle envoie un message désastreux en terme d'intégration. Globalement, on revient à un état d'esprit qui me rappelle les années 70 et les initiatives Schwarzenbach. On se renferme, on voit les abus partout, alors que ces lois n'empêcheront pas l'illégalité de s'installer, bien au contraire. Le pire, c'est que les deux lois s'attaquent à des migrants installés de longue date, qui ne sont pas les moins intégrés... On va se retrouver avec des lois plus dures pour les gens qui ne le méritent pas, et inefficaces pour ceux qui le mériteraient. Alors que les quelques abus qui préoccupent les gens trouveraient une réponse bien mieux adaptée si on négociait des accords de réadmission. Mais c'est plus compliqué que de gesticuler...

Comment expliquez-vous cet alignement du centre droite sur l'UDC?
–L'immigration est le seul thème sur lequel on le constate. Dans ce dossier, les bourgeois alémaniques ne se sont posé aucune question sur le plan des valeurs... Ils sont dans leur majorité convaincus que les Romands font du sentimentalisme. Leur seul souci, c'est de débarrasser la table de la question de l'asile avant les élections de 2007. Mais je crois que c'est un mauvais calcul: l'électeur a toujours préféré l'original à la copie. Il n'y a aucun profit à tirer de ce durcissement pour le centre droite.


Le PDC genevois vient de soutenir le principe d'un double référendum. Votre position?
–Je suis opposée à un référendum. Il n'a aucune chance de l'emporter devant le peuple. La campagne ne fera qu'envenimer encore le débat et fera le lit de l'UDC. I

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