lundi 12 septembre 2005

Elie Elkaim dans le Temps


Valérie de Grafenried donne la parole au président de la Licra qui fustige les tendances xénophobes des parti politiques Suisse:

La multiplication des dérapages xénophobes, antisémites ou racistes font réagir Elie Elkaim. Président de la section suisse de la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra), il lance aujourd'hui sa campagne pour que les partis suisses adhèrent aux principes de la «Charte des partis politiques européens pour une société tolérante et non raciste», signée à Utrecht en 1998. But de l'opération: que les formations politiques s'engagent davantage en faveur du respect de la personne humaine, tant au sein de leurs propres rangs qu'envers l'opinion publique. Une lettre adressée aux 3000 sections locales, cantonales et aux directions des partis politiques part ce lundi. La missive est cosignée par sept personnalités: l'ancien président de la Confédération Pierre Aubert, Cornelio Sommaruga, ancien président du CICR, les conseillers nationaux Yves Christen et Paul Rechsteiner, le conseiller d'Etat Luigi Pedrazzini, Yvette Jaggi, ancienne conseillère aux Etats, et Olivier Vodoz, ancien conseiller d'Etat. Entretien.

Le Temps: Pourquoi lancer votre action en pleine campagne de votation où il n'y a pas vraiment eu de dérapages xénophobes?

Elie Elkaim: Les inquiétudes de la Licra, s'agissant des dérapages dans le discours politique et surtout des conséquences de ces dérapages, remontent à bien avant cette campagne. Nous vivons depuis quelques années – et plus encore depuis le 26 septembre 2004, jour où la votation sur les naturalisations facilitées a été refusée – un durcissement et parfois une outrance dans le propos politique qui nous avaient été épargnés jusqu'ici. Les conséquences ont été assez nettes tout au long de l'année 2005 puisque nous avons été confrontés à un accroissement des actes racistes anti-noirs ou contre les requérants d'asile, à l'incendie du magasin d'un commerçant juif à Lugano, à la profanation du cimetière de La Tour-de-Peilz et aux graffitis sur la synagogue de Genève. Je fais aussi un lien évident entre ces dérapages politiques et les agressions verbales subies par notre président de la Confédération lors de son discours du Grütli.

– Est-ce un hasard si vous intervenez juste avant la session parlementaire qui traitera des lois sur l'asile et sur les étrangers?

– Il n'y a malheureusement pratiquement pas un mois où une telle campagne ne coïnciderait pas avec une situation critique. Il est exact, ceci étant, que le débat général sur l'asile engendre systématiquement des propos qui accentuent les stéréotypes et la xénophobie à l'égard des étrangers avec ou sans papiers. Le débat politique ne doit plus accréditer l'idée que tout étranger qui souhaite s'établir en Suisse est, a priori, habité de mauvaises intentions ou un délinquant potentiel. Cette dérive inacceptable vient d'ailleurs d'être stigmatisée par la Commission fédérale contre le racisme.

– Qu'attendez-vous concrètement des partis politiques?

– Notre acte est un acte citoyen. La société civile et les partis politiques doivent s'interroger régulièrement sur les limites qu'il faut donner aux messages politiques. A la suite des trop nombreuses catastrophes aériennes de l'été, l'idée d'un «label bleu» pour les compagnies aériennes sûres avait été lancée. Lorsque, en tant que citoyen, je donne ma voix à un parti politique qui revendique la responsabilité de diriger ma ville, mon canton ou mon pays, je souhaite m'assurer qu'il est bien empreint de valeurs humaines et démocratiques qui fondent ce pays. Cette campagne d'adhésion à la Charte européenne est donc une forme de «label bleu» qui serait donné aux partis politiques soucieux de ne jamais alimenter la xénophobie, le racisme et l'antisémitisme.

– Mais, franchement, ne craignez-vous pas que la déclaration à laquelle vous proposez d'adhérer n'aille pas au-delà du seul acte symbolique? Une initiative semblable du Forum contre le racisme en 2003 est rapidement tombée dans les oubliettes...

– Je réponds qu'il y a aujourd'hui une urgence à redéfinir les limites de la liberté de l'expression politique. Les minorités religieuses, nationales ou ethniques de ce pays – rappelons que l'extraordinaire majorité des étrangers en Suisse y sont légalement et parmi ceux qui ne le seraient pas, une extrême minorité occupe les services de police – doivent avoir l'assurance que nos institutions sont suffisamment solides pour que leur personne, sous toutes ses formes, soit respectée et protégée.

– Seul le PS a signé la «Charte des partis politiques européens pour une société non raciste»...

– C'est vrai. Mais en Europe, des partis politiques d'horizons très divers l'ont signée. Près de cent au total. De plus, la simple lecture de cette Charte montre à quel point elle est consensuelle et rien ne justifie qu'un parti politique qui se dit démocratique, quel que soit son bord, n'y adhère pas.

– Pourquoi vos prédécesseurs n'ont-ils pas envisagé cette démarche? Se seraient-ils cassé les dents sur des projets impliquant des partis politiques?

– Non. La Licra, qui réunit des personnes de tous horizons politiques, a toujours agi avec succès auprès des institutions et des partis politiques. Mais il est vrai que la Charte d'Utrecht n'a eu que peu d'écho en Suisse à l'époque de son lancement en 1998. Aujourd'hui, il y a une urgence. Voilà pourquoi j'ai décidé d'agir.


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Les principes en question

La Licra demande aux partis suisses de s'engager à adhérer aux principes déontologiques suivants:


• Défense des droits de l'homme et des principes démocratiques fondamentaux et rejet de toute forme de violence raciste, de toute incitation à la haine et à la persécution raciales et de toute forme de discrimination raciale.

• Refus d'afficher, de publier ou de faire publier, de distribuer ou d'adopter en quelque façon toutes vues et positions susceptibles de susciter ou d'encourager, ou pouvant être raisonnablement considérées comme susceptibles de susciter ou d'encourager les préjugés, l'hostilité ou la division entre les peuples d'origines ethniques ou nationales différentes ou entre les groupes représentants des croyances religieuses différentes. Réactions fermes envers toutes les expressions de sentiments ou comportements racistes dans nos propres rangs.

• Traitement responsable et équitable de tous les thèmes sensibles relatifs à de tels groupes en évitant leur stigmatisation.

• Refus de toute forme d'alliance ou de coopération politique à tout niveau avec tout parti politique incitant à la haine raciale et aux préjugés ethniques ou tentant de les susciter.

• Promotion d'une représentation équitable des divers groupes mentionnés ci-dessus, à tous les niveaux des partis, incluant une responsabilité spécifique à la direction du parti dans l'encouragement et le soutien au recrutement de candidats à des fonctions politiques ou à l'adhésion, de ces groupes.

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