mardi 12 juillet 2005

Honte et sanglots à Srebrenica



Reportage de Srebrenica de Martine Clerc dans 24heures


Quelque 40 000 personnes ont célébré hier le 10e anniversaire du massacre. Une commémoration doublée de l’enterrement de plus de six cents victimes dont les corps ont été identifiés. Des Bosniaques de Suisse étaient présents.

Les Bosniaques ont pleuré leurs morts au Mémorial de Potocari, alors que la communauté internationale a exprimé honte et remords. A quelques kilomètres de Srebrenica reposent désormais près de 2000 victimes du plus grand massacre de civils depuis la Seconde Guerre mondiale.


Rescapé, Mevludin Gobeljic, requérant d'asile de Vevey, a fait le voyage depuis Vevey pour enterrer deux de ses cousins. Il est «enfin» à Srebrenica. Pour la première fois, dix ans après sa fuite dans la forêt, poursuivi par les troupes serbes. Huit ans après son arrivée à Vevey où il vit aujourd’hui avec sa famille, au bénéfice d’une autorisation provisoire de séjour. «Je me sens drôle, j’ai l’impression de ne pas reconnaître les gens qui m’entourent. C’est beaucoup de pression de revenir après tout ce temps et de retrouver la mort», explique-t-il doucement. Pelle à la main, il attend devant la tombe où seront enterrés dans quelques heures deux de ses cousins, dont les corps viennent d’être identifiés. En tout, 610 victimes de 14 à 74 ans, exhumées des charniers, seront mises en terre.

Dès le petit matin, les hommes, la mine sombre, se sont affairés dans l’immense champ de tombes pour vider l’eau de l’orage de la veille qui stagne au fond des fosses. Le chant du mufti musulman, diffusé par haut-parleurs, retentit dans toute la vallée. Des cortèges de Bosniaques déferlent dans ce lieu jouxtant l’ancienne base de l’ONU où chercha vainement refuge, le 11 juillet 1995, la population de Srebrenica qui venait de tomber aux mains des troupes du général serbe Ratko Mladic. Huit mille hommes furent exécutés.

«Un échec de l’OTAN»
Quelque 40 000 personnes sont venues leur rendre hommage. Parmi les dignitaires invités, Boris Tadic, président de Serbie, premier chef de l’Etat serbe à faire un tel geste, et le ministre britannique des Affaires étrangères, Jack Straw, qui a évoqué la «honte de la communauté internationale». «Cette horreur s’est déroulée sous nos yeux et nous n’avons rien fait. Je le regrette amèrement», a-t-il souligné.

«Srebrenica a été un échec de l’OTAN et des soldats de maintien de la paix de l’ONU», a pour sa part déclaré Richard Holbrooke, l’ancien négociateur américain pour l’ex-Yougoslavie. Il a réaffirmé que les anciens chefs serbes bosniaques Radovan Karadzic et Ratko Mladic, en fuite et inculpés de génocide par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie à La Haye, devaient être traduits devant la justice internationale.

Après la prière, le nom et la date de naissance des victimes sont lus, un à un, dans le hautparleur. «1979, 1980. Ils sont tellement jeunes!» soupire Taner Alicehic. Etabli à Genève dès son enfance, le jeune Bosniaque n’a pas connu la guerre. «Mais je viens presque chaque année ici. Pour les Bosniaques, c’est notre Auschwitz.»
«Encore beaucoup de place»

Les cercueils, dont certains ne contiennent que des squelettes partiellement reconstitués, circulent de mains en mains, dans un long cortège au-dessus des têtes. Alic Said vient d’une vallée proche de Srebrenica et a fui à Lausanne dès le début du conflit. «Ma mère est montée dans un bus pour Tuzla en 1995. Aujourd’hui, elle n’a pas osé revenir.» Agenouillées autour des tombes, des femmes crient leur douleur. Certaines s’évanouissent.

La famille de Mevludin Gobeljic s’accroupit autour de l’imam, au bord des sépultures. Le requérant d’asile de Vevey regarde le grand pré vierge autour de lui. «Il y a encore de la place pour beaucoup de morts», lâche-t-il. Au-dessus de lui, sur une colline surplombant le Mémorial, un nouveau charnier a été découvert la semaine dernière. Des ossements disséminés, des vêtements déchirés. Il pourrait s’agir de fragments de corps d’une centaine de personnes, ont estimé les experts.

Aucun commentaire: