samedi 18 juin 2005

Prédication du Dimanche des réfugiés 2005, Moudon

Alors quels sont vos projets de vacances, cet été ? A moins que vous soyez de ces privilégiés qui pouvez partir en dehors des grandes migrations estivales : même si celui qu’on vit est en demie teinte, le mois de juin et celui de septembre sont souvent bien plus propices au dépaysement… Alors ?

14 millions de gens sur les routes, nous dit-on.
Mais ces 14 millions-là ne sont pas de ces pèlerins de Compostelle que l’on voit régulièrement faire une étape dans cette église, souffler un peu avant de reprendre leur route vers Lausanne… Tourisme spirituelle. Et dans ces 14 millions-là encore, on ne compte pas tous ceux dont vous serez peut-être qui prendront, sous peu, enfants et vélos pour rejoindre, les uns le sud, les autres le nord, occasion pour chacun de prendre du bon temps.

Dans le monde, 14 millions de personnes sur les routes… mais qui cherchent moins la mer et le soleil que juste une place où poser leur vie.
Pour moi, il y a là une réflexion à mener : on se croit une civilisation de sédentaires. Nos routes serviraient avant tout aux échanges commerciaux et aux vacances. On imagine qu’on en est là et que tout autre voyage n’est qu’accidentel et exceptionnel. Dès lors, c’est avec un intérêt un peu lointain que l’on entend parler de l’hospitalité légendaire de certaines cultures, pas toujours si lointaine de nos contrées, d’ailleurs… Un intérêt lointain, un intérêt touristique. Et c’est avec ce même regard que l’on lit les textes anciens de notre bible : l’accueil inconditionnel du voyageur nous paraît une curiosité bien pittoresque, un devoir, disons-le, un peu désuet.

Reste qu’ils sont 14 millions sur les routes et même si les nôtres sont goudronnées, elles sont pleines de dangers. Danger d’un passeur mal intentionné mais aussi danger d’une administration méfiante. Et puis il y a la peur du lendemain, jamais certain. La peur du rejet aussi. Et les peurs d’être poursuivis, repérés… j’en passe et des meilleures. Aujourd’hui, comme à l’époque du psalmiste qui cherchait à savoir d’où lui viendrait le salut au moment de prendre le départ, l’inquiétude sur les routes est grande.
Et ils sont 14 millions, déracinés, nomades, en proie au doute et à la merci de quiconque. L’hospitalité, un devoir désuet ?

Sodome : la ville pécheresse par excellence. Loth la choisit parce qu’elle apparaît comme un oasis dans une contrée plutôt sèche et rocailleuse. Abraham, lui, restera à Hébron, paysage plus rude. L’un s’installe, l’autre continue à migrer au gré des besoins des troupeaux.
Loth choisit donc Sodome et cela malgré sa réputation. Il y sera l’étranger à qui l’on fait une certaine place. Il y sera accueilli sans pour autant être tout à fait des leurs.
Outre ses origines nomades, qu’est-ce qui fait sa différence ? C’est ce que nous révèle ce texte, au demeurant souvent mal interprété.

On dit Sodome pécheresse et sa fin le montrera mais qu’est-ce qui est en cause ? L’homosexualité supposée de sa population, ces fameux sodomites ? On l’a cru ; on l’a lu ainsi mais, vous l’avez entendu, même Jésus semble en dire autre chose. Le péché de Sodome, c’est de n’avoir pas su accueillir les étrangers et notamment ceux qui arrivent ce soir-là, chez elle. Sodome, la sédentaire, ne supporte pas que Loth, l’ancien nomade, ouvre sa porte à des étrangers qu’elle ne connaît pas. Elle a peur ; elle veut montrer qui est le plus fort. Et, comme cela se faisait en temps de guerre – mais se fait toujours, je vous rassure, et là je pense au viol systématique auquel se livrent des armées !- la population de Sodome cherche à déshonorer ces trois voyageurs, ce à quoi s’oppose le pauvre Loth, qui sait bien, lui, la réalité du voyage : il ne l’a pas oubliée.

A l’époque comme aujourd’hui encore bien souvent, on imposait son pouvoir en en passant par le viol collectif afin de priver les vaincus de leur honneur et de leur statut d’hommes. Voilà le péché de Sodome. Voilà à quoi s’oppose Loth, tout juste installé mais encore, dans son âme, nomade et étranger, sorte de réfugié économique, notons-le !

Rappelez-vous le contexte dans lequel Jésus parle de Sodome : n’est pas celui de l’accueil, justement ? Ecoutez encore une fois :
Mais quand vous entrez dans une ville où les habitants ne vous reçoivent pas, allez sur les places publiques et dites aux gens:
11 "Nous enlevons même la poussière de votre ville qui est collée sous nos pieds, et nous vous la rendons! Mais vous devez le savoir: le Royaume de Dieu est tout près de vous."
12 Oui, je vous le dis, le jour où Dieu jugera les gens, il sera moins sévère avec les habitants de Sodome qu’avec les habitants de cette ville!»

Et le propos est encore plus clair quand on se souvient que dans les deux visiteurs de Loth se cachait Dieu lui-même, nous dit la Genèse…

Alors les sodomites, avant tout des gens inhospitaliers. Et, en écho, plusieurs autres textes de la bible font de Sodome cet archétype d’une société malade au point de manquer au devoir élémentaire de l’accueil de l’étranger, comme si, d’ailleurs, la sédentarisation faisait fatalement oublier la nécessaire et fondamentale hospitalité et transformait en ennemi à dominer celui qui arrive…

Alors ?
Alors cette évocation de Sodome ne peut sans doute pas nous laisser froids et nous permettre de continuer à voir l’hospitalité légendaire de certaines cultures comme une bien jolie curiosité touristique.
On ne peut pas ne pas ouvrir, un tant soit peu, l’oreille au slogan de ce week-end des réfugiés qui nous rappelle que l’asile est inscrit dans la déclaration des droits de la personne : il est un droit humain.

Reste que… Reste que l’on peut quand-même pas accueillir ces 14 millions d’hommes et de femmes chez nous ! quand-même… Et puis, à voir leur comportement, ils ne sont pas tous des envoyés de Dieu, bien au contraire !

Les sodomites sont rusés. Et même si, dans la bible, le verbe connaître peut avoir des connotations sexuelles qu’ils avaient en tête, ils commencent par demander à Loth de les faire sortir de sa maison pour qu’ils puissent, disent-ils, faire leur connaissance. Il est vrai, en tout cas, que selon le scénario de notre histoire, le neveu d’Abraham les rencontre à la porte de la ville et les emmène directement chez lui. L’hospitalité n’aurait-elle pas dû commencer par une présentation mutuelle ? Dès lors la demande des Sodomites pourrait être légitime.

Même si Loth avait raison de s’en méfier, je pense pourtant qu’il eût été juste, dans un autre contexte, d’en passer par là. Et me frappe à quel point les discours sur les réfugiés changent quand on les connaît, justement. La menace tombe et la sympathie naît.
Qui, d’entre vous, n’a pas été touché par le sort de ces quelques familles qui ont fait ou font encore les pages de nos journaux. Cet homme qui travaille chez un des paysans de Bussy ? Cet enfant né dans des mauvaises conditions à Martigny et qui, dorénavant, a besoin de vraies structures d’accueil pour pouvoir grandir et se développer ? Cette ou ces familles depuis si longtemps ici qui ont mis leur honneur à essayer de devenir indépendant, travaillant parfois nuit et jour ?

Quand on les connaît on peut entrer dans cette dynamique de l’accueil. Et je déplore amèrement, comme un contre exemple, ce qui s’est passé à Bex qui avait pourtant une tradition d’hospitalité vieille de plus de vingt ans. Je peux le dire, j’y ai été pasteur. Mais pris sans doute par d’autres préoccupations, autorités et gens de bonne volonté ont délaissé un groupe d’appui aux requérants qui servait justement à faire des liens entre population et personnes migrantes. Régulièrement, une fête se vivait au centre de la FAREAS qui permettait quelques mots et des échanges Sans doute pas la panacée mais au moins une manière de se connaître pour, ensuite, se reconnaître dans le village !

Dorénavant le centre va se transformer en bunker aux portes fermées pour le malheur de tous…

Ici, à Moudon, les choses sont encore autrement et, pour l’heure, personne ne vous interdira d’aller visiter telle ou telle personne. Par ailleurs, plus la question devient tendue et plus s’avère pertinente une vieille idée qui fait un peu peur mais qui est sans doute la meilleure solution. Même l’Etat nous y encouragerait, si j’en crois le résultat d’un groupe de travail constitué, en janvier, dont était notre Eglise. Je veux parler du parrainage… Parrainer comme Loth l’a fait, ce jour-là. Certes la comparaison peut inquiéter tant il y a perdu quelques plumes mais n’est-ce pas un moyen à notre hauteur qui nous permettrait de vivre l’hospitalité à laquelle nous sommes rendus attentifs, ce matin, et qui, quelque soit le sort des gens accueillis, nous permettra de vivre un temps d’humanité, un oasis sur nos différentes routes ? Un temps d’humanité mais peut-être pas seulement : rappelez-vous qui étaient les deux voyageurs de Loth !

Le Conseil Présence et Solidarité de votre Région songe à ce parrainage et aimerait, peut-être, essayer de mettre sur pied, comme des ressources à dispositions de chacune de ces rencontres, un staff de gens capables de les aider selon telle ou telle demande ou besoin. Oui, un parrainage mais un parrainage avec une équipe pour qu’on ne soit pas tout seul… C’est un projet en gestation et Dieu sait que Moudon qui est, depuis longtemps, cité de bon accueil, saura nous faire bon accueil !

Amen

Pasteur Laurent Zumstein

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