Industrie à l’agonie, chômage, cures d’austérité. Depuis 2008, le Portugal est en crise. Et ses ressortissants viennent à nouveau chercher du travail en Suisse.
Marre d’enchaîner les contrats précaires, de pointer au chômage, de crouler sous les dettes. Entre 50 000 et 100 000 Portugais fuient chaque année un pays sinistré, lessivé par la crise et en pleine récession. Nombre d’entre eux mettent le cap sur la Suisse, attirés par les bons salaires et la qualité de vie. Cette histoire n’est pas nouvelle. Elle nous rappelle les années 80, où des milliers de Portugais, les fameux saisonniers, débarquaient en Suisse pour servir de main-d’œuvre dans les exploitations agricoles ou l’hôtellerie.
Trente ans plus tard, la Suisse reste cette terre d’immigration pour les natifs de Faro ou de Porto. Même si le profil des chercheurs d’emploi a évolué. Depuis 2002 et l’accord sur la libre circulation, le nombre d’immigrés portugais a pris l’ascenseur. Avec un pic en 2007-2008, après l’abandon des contingents. Et l’afflux se poursuit. De mai 2010 à mai 2011, la communauté portugaise en Suisse a crû de 8467 personnes, soit la plus forte augmentation après les Kosovars et les Allemands. Et l’exode ne devrait pas faiblir, tant les nouvelles sont mauvaises du côté de Lisbonne.
L’exode des universitaires
On vient en Suisse – de préférence sur l’arc lémanique, en Valais, à Fribourg, dans les Grisons ou à Zurich – par le bouche-à-oreille. Chacun connaît un beau-frère ou une cousine installée de longue date. C’est le cas de Cristina Simões. «Pour vivre une vie décente», cette quadragénaire a rejoint sa sœur à Lausanne en février dernier. Elle a quitté un boulot d’employée d’administration au Portugal pour un job de femme de chambre à Epalinges. En abordant les rives vaudoises du Léman, elle a ainsi rejoint la plus grande communauté lusitanienne de Suisse (48 000 personnes), alors que 34 000 Portugais vivent à Genève.
«Presque tous les jours, des compatriotes m’appellent pour savoir s’il y a du travail ici», explique Manuel Fazendeiro, secrétaire syndical portugais chez Unia Genève, qui observe depuis le début de l’année un afflux de Portugais à la recherche d’un emploi. Une tendance confirmée chez Manpower. Qui sont ces migrants? «On voit deux nouveaux types de population, observe Manuel Fazendeiro. Des anciens immigrés qui étaient retournés au pays et reviennent en Suisse, poussés par la crise. Et les jeunes, qui sortent des études, bien formés, mais ne trouvent pas de boulot là-bas.»
Au final, jeunes et moins jeunes décrochent souvent un premier emploi précaire: ils nettoient, travaillent dans les métiers du bâtiment ou de l’hôtellerie-restauration. «Ces travailleurs sont très mobiles», précise Thierry Bösiger, responsable du secteur bâtiment dans les filiales vaudoises et valaisannes de Manpower. Certains sont prêts à trimer pour des salaires de misère. Fin septembre, Unia dénonçait un chantier à Aclens, où les ouvriers étaient payés 3,15 euros de l’heure. Parmi ces récents migrants également attirés par le franc fort, beaucoup d’hommes jeunes qui viennent seuls. Mais pas seulement. A Lausanne, le nombre d’élèves portugais dans les classes d’accueil est en nette augmentation depuis trois ans, constituant le quart des effectifs.
Le rêve du retour
Resteront-ils sur les bords du Léman ou retourneront-ils sur les rives du Tage? Entre 1996 et 2010, malgré le nombre élevé d’arrivées en Suisse, celui des Portugais qui quittaient notre pays était plus important encore. En Suisse romande, la tendance s’est nettement inversée. Fin connaisseur de la communauté lusitanienne et prof à l’Université de Lausanne, Antonio Da Cunha observe: «Les jeunes urbains qui émigrent aujourd’hui s’adaptent mieux que leurs aînés, peu formés, qui avaient souvent quitté les zones rurales du centre du pays. Mais je vois une constante dans les comportements migratoires de mes compatriotes: il y a toujours ce rêve du retour, une fois que la situation se sera améliorée au pays.»
Martine Clerc dans 24 Heures
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