mardi 16 août 2011

L'odyssée (in)humaine de dix réfugiés

Ils n'en ont pas le statut officiel, mais le sont pourtant corps et âme. Réfugiés en France pour fuir la persécution en Serbie, ces dix Roms devaient être expulsés la semaine dernière. Mais le tribunal de Lille leur a offert un sursis inespéré.

Ces voyages-là, d’habitude, sont sans retour. Arrêtée mercredi matin, à l’aube, à Clermont-Ferrand, la famille Ajeti-Hassani, dix Roms du Kosovo, devait être renvoyée dans son pays putatif, la Serbie.

Vendredi, un juge du tribunal administratif de Lille, où ils avaient été transférés, en a pourtant décidé autrement. Les motifs du jugement n’ont pas encore été notifiés, ni à la famille, ni à la préfecture du Puy-de-Dôme. Difficile donc de tracer des perspectives pour l’avenir, même à très court terme.

Menacés en Serbie

Seule certitude, à compter d’aujourd’hui, quatre adultes et six enfants, âgés de deux à onze ans, seront à nouveau à la rue. La solution trouvée pour les abriter ce week-end, un camping dans la campagne auvergnate, ne peut s’éterniser.

Pour eux, c’est un nouveau saut dans le vide, où ils sont à peu près sûrs d’être rejetés de Charybde en Scylla. Mais comparée à l’odyssée qui les a menés jusque-là, cette ultime péripétie ne saurait constituer un écueil majeur. Ils semblent avoir en eux une volonté monolithique d’aller de l’avant.

1999. La guerre fait rage dans leur pays, le Kosovo. Vendeurs de vêtements sur les marchés, ils fuient vers la Serbie, où on leur interdit d’exercer leur métier. D’autres persécutions suivront. Les propos racistes destinés à Arben, 7 ans à l’époque, par sa première maîtresse d’école. Son frère aîné, Kadri, la vingtaine, obligé, sous la menace d’un fusil, de charger les corps de ses amis dans un camion destiné au charnier. La Serbie, comme le Kosovo, sont pourtant considérés comme des pays « sûrs » par la communauté internationale.

Après dix ans de calvaire, la famille Ajeti-Hassani choisira de fuir. Direction, la France, en février 2011.Là, ils réclament le statut de réfugiés qui leur est refusé en première instance par L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra).

Selon la famille et les bénévoles qui les entourent, un appel serait en cours devant la Commission nationale du droit d’asile (CNDA). La préfecture, elle, affirme que cette instance a déjà tranché. Avis défavorable pour les dix Roms.

Même si un recours est également déposé devant le tribunal administratif de Clermont-Ferrand, le préfet décide, le 10 août dernier, de prendre un arrêté de reconduite à la frontière. Ce jour-là, à 7 heures du matin à peine, Kadri et son épouse, Arben, ses parents et ses frères et soeurs sont arrêtés dans l’hôtel qu’ils occupent à Clermont-Ferrand. Quelques jours à peine après l’annonce par le ministre de l’Intérieur du nouvel objectif de 30.000 expulsions pour l’année 2011.

Pas le temps de prendre leurs habits

Dans sa chambre, Arben, dix ans désormais, veut récupérer ses habits. « Ils nous ont dit : “Non. Vite, vite, vite”. ». Ils sont emmenés de force, sans rien comprendre à ce qui leur arrive. « Les enfants ont été traumatisés, ils étaient en pleurs », raconte Kadri. La famille échappe juste à l’humiliation des menottes. Pas besoin. Selon la préfecture, l’interpellation de la famille par les quinze policiers s’est déroulée « sans heurt ».

Dans un bus de tourisme, spécialement affrété pour l’occasion, la famille Azeti-Hassani est transférée au centre de rétention de Lille. « Une cage, une prison », mime Salih, le père de famille, les deux mains jointes sur des barreaux imaginaires. Lorsqu’ils sont relâchés, vendredi, la police se contente de les déposer sur un quai de gare. Sans argent ni billet de train. Clandestins sous contrainte. « Par rapport au voyage tout frais payé de l’aller, le contraste est saisissant », ironise une bénévole.

Malgré la peur de se faire coincer, ils parviendront à rejoindre Clermont-Ferrand, à minuit, épuisé. Après tout ça, on se demande encore comment les parents trouvent la force de sourire, de se réconforter. Comment les enfants peuvent-ils jouer au football, en toute innocence. Quel sentiment les meut ?

En la matière, la barrière de la langue ôte toute certitude. On tranche par élimination. Cette sarabande n’est pas une façon d’oublier, vu qu’ils savent leur sort suspendu au moindre aléa. Ce n’est plus tout à fait de l’espoir. Trop de portes se sont refermées. « On veut habiter en France, que nos enfants grandissent ici, aillent à l’école », explique Salih. L’envie de vivre. Toujours.

Sébastien Dubois pour la Montagne

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