jeudi 14 octobre 2010

De l’Odyssée à la harga

Comme effet d’une politique, “el-harga” est une tragédie. Comme choix individuel, c’est certainement une faute. Comme mouvement social, c’est un signe de renoncement.
S’il était juste de dénoncer le désespoir infligé à notre jeunesse, la poussant vers la plus périlleuse des voies, il ne conviendrait peut-être pas de faire des harragas un modèle de solution pour nos adolescents. Pas seulement, parce que le choix débouche, après le risque, sur un monde de clandestinité, de faux, de trafic et de contrebande, forcément propice à la précarité et à la délinquance.
La couverture médiatique de “la mutinerie” dans un centre de rétention à Cagliari montre que notre traitement du phénomène de la harga, exclusivement abordé sous l’angle victimaire et de la débrouille, n’est peut-être pas faite pour rendre service aux jeunes Algériens désemparés par le manque de perspectives d’avenir. Il faut certainement rappeler que l’état est tenu de défendre en toutes circonstances ses ressortissants et d’exiger de leur réserver un traitement digne par les autorités des pays où ils se trouvent, mais il ne faudrait peut-être pas insister sur leur statut de victimes et omettre de noter la vanité de leurs eldorados. Ce n’est pas parce que les horizons nationaux sont bouchés qu’il faille se complaire dans une pédagogie de l’errance.
Une industrie de la harga est en train de se développer sur la base du passage de clandestins sur l’autre rive et de contrebande d’articles divers vers cette rive-ci. Les passeurs locaux et leurs fournisseurs en exil sont seuls à s’enrichir dans cet échange “clandestins contre marchandise”. Les quelques enquêtes menées sur place, comme celle récemment réalisée par un confrère en Grèce, font ressortir que le plus gros des harragas survit d’expédients, parfois de larcin et même de prostitution, dans une extrême vulnérabilité administrative et juridique.
L’urgence est de mettre fin à cette hémorragie de sang jeune, livré à l’esclavagisme de certains, au racisme d’autres et à la traque des polices. Et de convaincre les plus jeunes que l’éducation et l’instruction offrent bien plus de chance de s’intégrer dans un monde mondialisé que le vagabondage transnational.
Bien mieux, puisqu’il semble que les harragas sont capables de mutinerie quand des autorités étrangères les briment ou les brutalisent, que ne se révoltent-ils pas pour réclamer le droit au bonheur chez eux ? Mieux vaut encourager la capacité de revendication de la jeunesse que de la conforter dans le réflexe de renoncement qui consiste à abandonner la partie pour aller “tenter sa chance” ailleurs que de l’exiger ici.
Le temps de l’Odyssée est passé. Paradoxalement aujourd’hui, c’est le développement d’un pays qui impose le respect de ses émigrants. Ce que peut alors faire une nation pour ses malheureux, c’est se développer. Après, le monde est à eux.
De ce point, le développement n’est plus un choix, c’est un droit. Et l’état qui ne peut pas respecter ce droit est un état de non-droit. Surtout quand il en a les moyens.

Un article de Mustapha Hammouche dans la Liberté, quotidien national algérien

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