Il y a un an, le verdict du peuple suisse pour l’interdiction des minarets faisait les gros titres du monde entier. Et voilà que la petite ville bernoise de Langenthal réveille l'intérêt des médias étrangers avec une polémique autour d’un minaret.
Langenthal, avec son design et sa porcelaine, fait régulièrement la une des médias depuis 2006 à cause d'un minaret qui n'existe pas (encore). Non seulement cette petite ville industrielle d’environ 15’000 habitants se trouve au centre géographique de la Suisse, mais aussi dans l’exacte moyenne des sondages de consommateurs alémaniques.
Ainsi, de nombreuses entreprises testaient volontiers ses habitants lorsqu’elles voulaient introduire un nouveau produit: ce qui pouvait y être vendu avait de bonnes chances de pouvoir l’être ailleurs en Suisse alémanique.
Par contre, le projet de construction d’un minaret passe moins facilement la rampe à Langenthal: en 2007 la communauté musulmane a déposé une demande de permis de construire pour agrandir son centre religieux.
Depuis la votation fédérale contre la construction des minarets, la petite ville ne cesse d’occuper la scène médiatique à cause de cette demande de permis, même si ce n’est pas cette affaire qui est à l’origine de l’initiative populaire. Mais les autorités cantonales s’en sont mêlées.
Publicité problématique
Le maire Thomas Rufener n'est pas content du tout de cette publicité, mais rappelle que, lors de la votation populaire de 2009, «les citoyen de Langenthal ont voté exactement comme la moyenne des Suisses».
Il n’y a pas eu dans sa ville plus de oui ou de non qu'ailleurs! Et voilà que différents partis politiques voudraient faire croire que la publicité faite à sa ville est à l’origine du plébiscite pour l’interdiction des minarets.
Dans les médias aussi, l’image de Langenthal est désormais associée à la droite conservatrice et hostile à l'islam. Thomas Rufener s’en défend, lui qui est pourtant membre de l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) à l’origine de l’initiative populaire. «De nombreux médias internationaux s'intéressent tout à coup à Langenthal, qui est montrée comme le centre de la querelle sur les minarets, alors qu’elle n’a rien à voir avec tout ça», dit-il.
Projet de mémorial
La mosquée de la discorde se situe dans la zone industrielle de la périphérie de Langenthal. De l’extérieur, la grande salle de prière du centre religieux n’a rien d’une mosquée orientale, mais ressemble plutôt à une halle de gym.
A moins de cent mètres de là, dans une des salles ultramodernes du nouvel Hôtel du Parc, le comité d'action «Halte au minaret» s’est réuni pour présenter la maquette d’un mémorial qu’il projette de réaliser.
Le monument qui devrait être installé à un carrefour du centre-ville représente la forme d’un tire-bouchon à l’envers de la taille d’un homme, et est censé rappeler les persécutions dont sont victimes les non-musulmans des pays islamiques. Le comité mentionnait l’attentat terroriste qui a récemment touché une église à Bagdad.
Le conseiller national (député) UDC Walter Wobmann s’est aussi exprimé, évoquant l’«arrogance incroyable» des autorités du canton de Berne, qui autorisent la construction du minaret de Langenthal malgré le résultat de la votation de 2009. Entre temps, le conseil municipal de Langenthal a refusé la requête du comité de mettre un emplacement à sa disposition, selon son communiqué.
«Paradoxe politique»
Si le comité table sur les peurs de la population suisse chrétienne, de leur côté, les membres de la communauté musulmane de Langenthal ont tout aussi peur. Ils sont majoritairement albanais de Macédoine, explique leur porte-parole Mutalip Karaademi, lui-même originaire de cette région.
Il déplore ce triste paradoxe qui veut que des musulmans européens, qui ont eux-mêmes vécu sous la terreur, soient mis dans le même panier que des terroristes arabes.
«En ex-Yougoslavie, il n'y avait aucune liberté de religion. L'imam devait obligatoirement être membre du Parti communiste. La guerre des Balkans des années 1990 a été spécialement dure pour les musulmans», explique-t-il.
«Et quand nous nous sommes venus nous réfugier en Suisse, pays démocratique qui garantit la liberté de culte, voilà que nous sommes de nouveau pris pour cible par la propagande politique.»
En outre, un Albanais n’est pas automatiquement musulman, ajoute-t-il. «Mais nous avons le sentiment de former une même communauté culturelle, même si les Albanais se répartissent entre trois religions, car c’est normal pour nous de vivre ensemble». Et cela vaut aussi pour les Suisses.
«Jusqu’au Tribunal fédéral»
Cependant Langenthal est encore très loin d'une solution, relève Daniel Kettiger, conseiller juridique de la communauté religieuse. Il estime qu’il était évident dès le départ que les adversaires du minaret poursuivraient la lutte jusqu'au Tribunal fédéral, soit jusqu'à la dernière instance judiciaire.
Mais le juriste est convaincu que l’interdiction des minarets n’a aucune chance à long terme, car «ce sera la Cour européenne des droits de l'homme qui aura le dernier mot».
Tout autre son de cloche du côté des partisans du mémorial: Walter Wobmann lui aussi invoque la cour de Strasbourg, qui seraient bien inspirée «de ne pas condamner la décision claire d’un Etat souverain».
Si une interdiction des minarets était considérée comme une violation des droits humains, on pourrait se demander si le Coran dans son ensemble n’en est pas une: «il faudrait aussi juger sur lapidations, mariages forcés, châtiments corporels sur des femmes et des enfants», a lancé le député au public.
Alexander Kuenzle pour swissinfo, traduit de l'allemand par Isabelle Eichenberger
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