La droite tente de gagner des voix en faisant campagne sur le trop-plein d’étrangers. Le cas de la ville-dortoir de Badalone, près de Barcelone. Le scrutin se tient dimanche prochain.
«Bismillah» coiffure, Boucherie islamique, Video «Abbas»… Tout le long de la rue Chile, c’est un concentré pakistanais. Les hommes arborent des salwar-kameez traditionnels, les femmes sont rares, on boit un peu partout du tchaï, le thé au lait. Vers 19 heures, les fidèles sortent d’une petite mosquée, discrètement, telles des ombres furtives…
On est à Artiguas-San Roc, à Badalone, troisième ville de Catalogne, au nord de Barcelone. Un de ces anciens quartiers populaires qui, outre sa population d’ouvriers et de gitans autochtones, a assisté ces dernières années à un afflux massif de Marocains, et surtout de Pakistanais. Une zone avec 30% d’étrangers (deux fois la moyenne nationale) où la situation est tendue et où certains partis attisent délibérément la xénophobie.
A la veille des législatives catalanes, qui se déroulent ce dimanche, le Parti populaire (PP) a rappelé que Badalone, cette immense ville-dortoir de 220 000 habitants, est un «laboratoire». Entendez: le thème de l’immigration n’est pas pleinement sur la scène publique, mais si la droite espagnole joue sur ce levier avec succès, elle obtiendrait une belle moisson de suffrages. Car faiblement implanté en Catalogne, une région dominée par les nationalistes, le PP jacobin rêve de s’étendre ici.
«Beaucoup de tension»
Dans le «laboratoire» de Badalone, ville aux 70 nationalités, le quartier d’Artigas-San Roc est un terreau idéal: la plupart des «autochtones» sont eux-mêmes des émigrés, souvent âgés, venus du sud de l’Espagne dans les années 1950-60. Et qui, en pleine crise économique (le chômage atteint ici 17%), voient d’un mauvais œil ces nouveaux arrivants. Cinq mille signatures ont été recueillies pour la fermeture de la mosquée, une modeste salle de 90 m² où se concentrent une grosse centaine de fidèles pakistanais.
Angel Vendrell préside une association de quartier: «On a mis en place une école pour leur enseigner le catalan et l’espagnol. Mais il y a beaucoup de tension. Ici, les gens voient l’étranger comme une menace, une concurrence déloyale, une source d’instabilité. Dans la plupart des cages d’escaliers, les différences culturelles augmentent la défiance mutuelle.»
Du côté de la mairie, un bastion socialiste depuis trente ans, on admet que les querelles de voisinage sont explosives. Pour les désamorcer, des «unités de bonne coexistence», les UCO, ont été mises en place. «Cinq patrouilles de ces médiateurs travaillent sans répit, confie le maire Jordi Serra. Des dizaines d’édifices sont conflictuels, c’est vrai, mais cela reste une minorité. La droite veut s’implanter, alors elle donne des coups bas.»
En septembre, le PP (qui a 7 élus sur 27) distribue 40 000 prospectus: «Nous ne voulons pas de Roumains ici.» A Badalone, cette communauté est peu nombreuse, mais qu’importe. On est alors en pleine polémique sur les expulsions des Roms de France, et il s’agit de jouer sur la fibre patriotique. L’eurodéputée française Marie-Thérèse Sanchez-Schmidt défile en renfort, acclamée par un noyau de radicaux anti-étrangers.
Depuis mars, la Plataforma per Catalunya (la plus grosse formation xénophobe d’Espagne), installée à Vic, a débarqué à Badalone. A Artigas-San Roc, à La Salut ou La Pau (où le taux d’immigrés avoisine aussi les 30%), ces militants font du porte-à-porte pour «décrocher» des électeurs. Publiquement, ils proposent de retirer toute subvention aux étrangers, d’annuler les bourses d’études aux fils d’immigrés et de faire payer aux consulats du Maroc et du Pakistan les dépenses que génèrent leurs ressortissants.
Khan, un grand Pakistanais qui tient deux commerces à Artiguas-San Roc, est inquiet: «Les gens ici sont plus raisonnables que ces pyromanes, d’autant que nous sommes une communauté modèle. On va jusqu’à installer à nos frais les guirlandes de Noël! Mon inquiétude: les immigrés qui entrent par infraction dans des logements récupérés par les banques, parce qu’ils n’ont plus les moyens de rembourser les prêts immobiliers. Ces squatteurs ne respectent aucune règle, aucune norme, et les conflits de voisinage se multiplient. La faute en revient aux banques qui, après avoir prêté de l’argent sans limite, devraient au moins louer ces appartements. Je connais beaucoup des miens qui sont dans une situation difficile. Ils ont perdu leur emploi, leur appartement, mais ne peuvent pas revenir au Pakistan.»
Jeu vidéo retiré
Ces derniers temps, l’immigration occupe davantage de place dans les médias, aux dépens du nationalisme catalan. Cette année, la municipalité de Vic s’est opposée à l’inscription de ses immigrés illégaux, une première. Au sud, dans la région de Tarragone, une demi-douzaine de mairies ont prohibé le niqab et la burqa dans l’espace public, même si ces tenues y sont très rares.
D’après l’Institut Noxa, une grosse moitié des 7,5 millions de Catalans (tous partis confondus) estiment que le nombre d’immigrés est «excessif». Le PP s’est engouffré dans cette brèche avec force. Parfois trop: pendant la campagne, pour appeler à voter, le parti a lancé un jeu vidéo dans lequel la candidate, déguisée en Laura Croft, le top model américain, s’amuse à «tuer» des pions représentant… des étrangers. Face aux protestations, le PP a retiré ce jeu, et présenté des excuses.
François Musseau dans le Temps
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