Alors que le débat sur l’immigration enflamme l’Allemagne, le projet des «mères de quartier» est une réussite depuis sa création en 2004. Reportage dans un quartier de Berlin où elles facilitent l’intégration par l’apprentissage de la langue et l’éducation.
Yasmin et Perwin sont venues poser devant la lourde silhouette prussienne de la mairie de l’arrondissement berlinois de Neukölln. Une revue féminine s’intéresse à ces nouvelles héroïnes «allemandes» de l’intégration et au projet pour lequel elles travaillent: l’association des «mères de quartier» de Neukölln, un quartier où la moitié des 300 000 habitants est d’origine étrangère et un quart vit de l’aide sociale. Né en 2004, ce réseau forme et emploie des femmes issues de l’immigration. Trente heures par semaine, celles-ci vont aider d’autres femmes migrantes à faire face à leurs problèmes quotidiens.
Difficultés avec la langue
L’impulsion qui a donné naissance aux «Stadtteilmutter » est venue d’une conférence sur les difficultés de l’enfance à Neukölln, organisée en 2000. Bilan: une connaissance insuffisante de l’allemand (un enfant sur six à Berlin et presque 50% des enfants issus de l’immigration turque et arabe) avec les conséquences qu’on imagine sur leur développement psychomoteur et leurs chances de réussite scolaire. Le projet des mères de quartier, qui a déjà permis de former et salarier 180 femmes, a donc été conçu pour améliorer le niveau des connaissances linguistiques et éducatives des familles migrantes «socialement éloignées». Pour accélérer le processus de «désenclavement social», les initiateurs ont misé sur le contact privilégié entre femmes de même langue et de même culture et sur le rôle prescripteur des femmes dans l’espace familial. La zone d’intervention de Yasmin est la «Gropius Stadt», un coin socialement chaud: «Les familles que j’aide ont effectivement des difficultés avec la langue, l’administration et ont du mal à s’orienter dans cette société qui n’est pas la leur. Mais leurs problèmes sont banalement quotidiens: comment améliorer mon allemand, quelle maternelle vais-je choisir pour mes enfants, comment réagir face à l’utilisation de l’Internet, comment dois-je formuler ma lettre à l’Agence pour l’emploi? Rarement, il est question de voile ou de religion», assure la jeune femme, estimant qu’il est urgent que les Allemands et étrangers apprennent enfin à se connaître et à vivre ensemble.
Metropolis Award en 2008
En six ans, les mères de quartier de Neukölln ont pu atteindre près de 3000 familles. Le projet marche tellement bien qu’il a été repris dans d’autres villes d’Allemagne et a reçu le «Metropolis Award 2008», attribué par l’association des grandes métropoles mondiales: «Le maire social-démocrate de Neukölln a été propulsé héros de l’intégration par son parti depuis que le débat fait rage», explique Jean- Philippe Laville, français installé dans le quartier depuis 35 ans et vice-président de la Fondation des citoyens de Neukölln qui finance de petits projets sociaux et artistiques: «En fait, c’est un homme typique de ce quartier ouvrier, qui ne s’est jamais occupé des débats sur la culture dominante ou le multiculturalisme mais qui a su reconnaître les problèmes de son quartier et faire confiance aux initiatives locales.» Jusqu’à la fin des années 1980, l’Allemagne n’a jamais ressenti le besoin de développer une culture de l’intégration. Le premier gouvernement d’Helmut Kohl avait même commencé à offrir, sans grand succès, des primes de retour aux travailleurs venus à la fin des années 1950.
Education politique
Après la chute du Mur de Berlin et la guerre en Yougoslavie, l’Allemagne a connu de forts mouvements migratoires. C’est là que le problème de l’intégration a commencé à se poser. Le gouvernement Schröder, avec une nouvelle loi sur l’immigration et la réforme du code de la nationalité (passage partiel du droit du sang au droit du sol en 1999), a posé les jalons d’une politique d’intégration. Mais celle-ci est encore balbutiante. Ce n’est que depuis peu que des projets d’intégration plus solides, comme les mères de quartier, voient le jour. Bien qu’ayant terminé son contrat de trois ans et demi, Perwin, originaire du Kurdistan irakien, continue à s’engager dans le projet sur une base horaire. Elle travaille aussi pour une association qui organise des visites du quartier. «Il est rare que les mères de quartier retournent au foyer. La plupart reprennent des études», précise-t-elle fièrement. Elle se réjouit de participer au prochain module de formation demandé par les Stadtteilmutter elles-mêmes. Au programme: de l’éducation politique! Car ces migrantes ont redécouvert le pouvoir de la parole et ne veulent plus s’en priver. Perwin et Yasmin, toutes deux de nationalité allemande, sourient à l’idée d’entrer peut-être un jour au Conseil municipal de Neukölln.
Un article signé Thomas Schnee, Berlin, pour la Liberté
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