vendredi 10 septembre 2010

Ramadan extrême pour les clandestins de Redeyef

Ils sont jeunes, ils se cachent, vivent dans des caves. Les jeunes Tunisiens sans papiers qui errent à Nantes ont achevé hier un mois de jeûne vécu dans des conditions très pénibles. Rencontre.

Foyer St-Jean à Nantes

Pas un chat autour des grandes tables du logis Saint-Jean. D'ordinaire, le local de la rue du Chapeau-Rouge, à Nantes, est pourtant bondé et bruyant, plein du bruit des voix : celle des sans-abri/sans-papiers accueillis ici, en journée, toute l'année. Les hommes et les femmes privés de toit et de pièces d'identité y trouvent refuge, écoute, nourriture, et du café à volonté.

Silence inhabituel depuis le début du Ramadan. Les trente à quarante jeunes hommes venus de Redeyef, en Tunisie, désertent le logis où petit-déjeuner et goûter sont servis quotidiennement. A quoi bon venir si on ne peut pas manger ?

Climat répressif en Tunisie

En ce dernier jour de jeûne, Ali et Khalid (1), 18 ans et 22 ans, sont là tout de même. Poids plumes s'enfonçant sur les canapés d'occas', ils font comme ils peuvent, entre méfiance et français hésitant, pour analyser ce Ramadan si dur. Le premier pour eux sur le sol français. Pas une sinécure : « Au bled, il y a la famille, on prend la douche, on est propre, on mange bien, on sort comme on veut. »

Il y a un an, ils ont fui Redeyef, ville du bassin minier de Gafsa, au Sud-Ouest de la Tunisie. En 2008, la population manifestait pour dénoncer des corruptions, le chômage... La répression a été dure, avec deux jeunes tués. « Mon frère a fait de la prison », lâche Ali. Depuis, les forces vives de Gafsa et de Redeyef s'évadent de la région, via la Libye et l'Italie. La plupart de ces jeunes hommes arrivent à Nantes, clandestinement. Par peur des représailles qui pourraient être exercées sur leur famille restée au pays, ils n'osent même pas demander l'asile. Ils vivotent sans aide ni droit.

Nuits difficiles dans les caves

Albert Labat, qui préside l'association du logis Saint-Jean, connaît bien leurs galères quotidiennes. « Le 115 ? Ils n'ont pas assez de lits d'urgence pour les SDF. Alors pour les sans-papiers... » Ali et Khalid dorment dans des caves depuis des mois, avec leurs trente à quarante compatriotes exilés... mais d'une seule oreille, mime Ali, ses mains jointes contre sa joue : « Les personnes ont peur. Ici, il y a toujours la police. »

L'adolescent a déjà été placé deux fois en garde à vue, une fois en centre de rétention. Khalid a connu cinq fois les geôles. « Depuis juillet, ils n'osent plus aller aux bains municipaux. Certains ont été interpellés là-bas, s'inquiète Albert Labat, qui a écrit une lettre au procureur, via l'avocat de l'association. Avant l'été, j'étais obligé de rationner les bons de douche. Actuellement, je n'en distribue plus. »

Et c'est encore l'obligation de se cacher qui gâche leurs soirées de Ramadan. « On va dans les mosquées. A la Souillarderie, c'est bien. Il y a de vraies tables. On mange la soupe, la viande, les dattes. On reste jusqu'à minuit. » Ce rythme est épuisant, nerveusement et physiquement. Aujourd'hui, c'est jour de l'Aid. Pour la rupture du jeune, ils reviendront au Logis. « Où aller sinon ? »

Agnès Clermont dans Ouest-France

Aucun commentaire: