Plus de 200 Roms ont été renvoyés de France jeudi et vendredi: quelques uns en Bulgarie, la grande majorité en Roumanie. Le pays compte la plus forte minorité rom en Europe: 1,8% de la population roumaine se déclare d'ethnie rom, selon le recensement 2002. Dans la réalité, il y aurait 1,5, voire 2 millions de Roms dans le pays.
Pour le moment, les reconduites sont dites «volontaires»: ces rapatriés ont tous accepté l'aide au retour humanitaire (300 euros par adulte, 100 euros par enfant). Les nombreuses Obligations de quitter le territoire français (OQTF) délivrées ces dernières semaines n'ont pas encore été mises en application.
Magda Matache est directrice de Romani Criss, une ONG roumaine de défense des droits fondamentaux des Roms. Elle évoque la situation des Roms qui rentrent en Roumanie.
Jeudi, la France a affrété les premiers vols pour Bucarest, dans lequel ont embarqué des gens qui ont accepté l'aide au retour. Vous avez assisté à leur arrivée?
Oui, nous essayons de collecter des informations sur les conditions dans lesquelles ils ont été expulsés, pour savoir s'il s'agit de retours involontaires, si des pressions ont été subies. Le travail a été rendu difficile par la présence de nombreux journalistes, mais certains ont déclaré avoir subi des pressions, d'autres sont partis parce que leur camp a été détruit.
A quoi peuvent servir les 300 euros donnés par le gouvernement français, dans le cadre de l'aide au retour humanitaire?
Avec 300 euros, on ne peut certainement pas monter une affaire. La France a aussi un programme de financement de petites entreprises économiques, qui consiste en une somme plus conséquente et le montage d'un business plan. Mais ce programme n'a pas pu bénéficier à tous ceux à qui il avait été promis. Je ne crois pas que donner 300 euros aux Roms constitue une solution de long terme. C'est ce sur quoi devraient enfin se pencher les gouvernements français et roumain. En aucun cas, il n'est question avec cette aide de soutenir les Roms. Il s'agit surtout d'une méthode efficace pour les renvoyer dans leur pays! Par ailleurs, un retour dans la communauté d'origine, sans argent et sans possibilité offerte de se réintégrer, je crains que cela ne crée des tensions.
Les Roms ont-ils subi les contrecoups de la chute du communisme? Leur situation s'est-elle au contraire améliorée depuis 1989?
L'histoire des Roms sur le territoire roumain est une histoire tragique. Ils ont été esclaves pendant environ 500 ans, exterminés pendant l'Holocauste, subi une période d'assimilation forcée sous le communisme. Depuis les années 1990, ils vivent dans une jeune démocratie, où des politiques se sont construites pour ces minorités mais n'ont pas été réellement mises en application au niveau local. La Roumanie a connu des périodes de progrès, mais depuis 2007, le gouvernement s'est relâché.
On peut parler de progrès dans le domaine scolaire, dans le sens où le nombre d'enfants roms scolarisés s'est considérablement accru. Le ministère de l'Education a initié des mesures volontaristes, en réservant des places aux enfants roms dans les lycées et les universités. Cela a permis d'accroître considérablement le nombre de diplômés et de créer une élite rom. Mais moins de 10% vont au lycée. Parmi les nombreux motifs, il y a le fait que les lycées ne sont pas situés dans les villages où ils vivent, et leur famille n'a pas les moyens de payer le transport ou un logement sur place. Les Roms sont toujours partis avec une chance en moins par rapport aux autres, en raison de leur pauvreté, de discriminations, etc.
Les Roms ont le statut officiel de minorité en Roumanie. Quels droits cela leur confère-t-il? Sont-ils appliqués?
Parmi les droits obtenus, ceux liés à l'enseignement du romani sont importants. Les enfants peuvent suivre des cours optionnels de langue et d'histoire romani. Dans quelques classes, l'enseignement se fait intégralement en romani. Mais il est difficile d'avoir des professeurs spécialisés dans cette matière.
Les Roms ont aussi, comme les autres minorités ethniques, un représentant au Parlement. Malheureusement, sans trop d'initiatives ni de résultats, ni même de réactions face à la politique menée par la France.
Au niveau local, des Roms s'impliquent. Mais je rappelle qu'on parle d'une population où moins de 10% des enfants vont au lycée. Très peu accèdent à l'université. La participation politique, dans cette situation, devient un desiderata.
Qu'en est-il de l'accès au marché du travail, au système de santé?
En matière de santé, beaucoup de discriminations ont été rapportées: il y a des cas où des femmes enceintes roms ont été hospitalisées dans des chambres séparées des autres femmes. Des médecins de famille refusent de les prendre comme patients. Un nombre assez important de Roms n'ont pas d'assurance maladie parce qu'ils n'ont pas de travail stable. Souvent, ils utilisent seulement les services d'urgence.
Une série de raisons leur empêche l'accès au marché du travail. Un certain nombre d'hommes avaient des métiers traditionnels, artisanaux, qui aujourd'hui ne sont plus rentables ou plus pratiqués. Beaucoup d'hommes travaillent aujourd'hui dans la construction. Souvent, ils n'ont pas de contrat de travail. Dans les villages, la récolte de fruits est très répandue. Mais c'est une activité saisonnière. Et quand les gens sont qualifiés, on leur refuse souvent l'embauche.
Propos recueillis par Elodie Auffray pour Libération
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire