lundi 14 juin 2010

Sans-papiers: le repli genevois

Il y a deux semaines à Genève, quelque 450 sans-papiers réclamaient la régularisation collective des travailleurs en situation irrégulière, faisant pression pour que le Conseil d'Etat réactive auprès de la Confédération la demande en ce sens déposée en 2005. Début mars, le magistrat socialiste Charles Beer avait annoncé l'intention du gouvernement d'examiner l'opportunité de relancer la procédure. Sa déclaration intervenait en plein débat sur l'accès des sans-papiers à l'apprentissage.

Au vu des réticences d'Isabel Rochat, cheffe de la Sécurité et de la police, mais aussi de l'énergie mise par les autres départements pour ne pas s'exprimer sur la question, on doute que l'exécutif cantonal, au-delà peut-être de l'un ou l'autre de ses membres, ait jamais songé à sortir cette demande des tiroirs fédéraux.
A quoi bon formuler une requête qui n'a aucune chance d'être acceptée? glisse un fonctionnaire. Surtout, pourquoi risquer de braquer l'Office fédéral des migrations, alors que les régularisations au cas par cas fonctionnent si bien? poursuit Isabel Rochat. Ces raisonnements ne tiennent pas. D'abord parce que, si la démarche initiée en 2005 n'a pas abouti, elle a probablement fait beaucoup pour permettre à Genève un nombre élevé de résolutions de cas individuels. Refuser de remettre la pression sur Berne par excès de prudence, c'est risquer d'attendre, les bras croisés, un prochain durcissement de l'administration fédérale. De surcroît, alors que les sans-papiers sont sortis de l'ombre pour crier leur détresse d'y être confinés injustement, laisser leur revendication collective dormir sous la poussière est un mauvais signal. En montrant qu'une solution globale ne fait plus partie de son horizon, le nouveau Conseil d'Etat marquerait une rupture avec le précédent. A force de vanter les mérites des solutions individuelles, il apporte sa caution au système qui permet l'exploitation d'une main-d'oeuvre précarisée justement dans le but de la rendre corvéable à merci – quel Suisse accepterait de garder des enfants toute la semaine pour 700 francs par mois?
Sans compter que les permis humanitaires, délivrés au compte-goutte, le sont de façon arbitraire. Même à Genève où, paraît-il, il suffirait de le demander poliment pour obtenir un permis... C'est ce que rappelle le cas médiatisé de la famille Selimi, menacée d'expulsion alors que le père travaille à Genève depuis vingt ans. Surtout, si le canton du bout du lac a obtenu la majorité des régularisations humanitaires, ailleurs, elles n'ont aucune chance. La démarche de 2005 en vue d'une solution collective avait le mérite de porter un message politique sur le plan national, même si l'on peut regretter que d'autres cantons n'aient pas pris la balle au bond, en particulier celui de Vaud.
Dans l'attente d'un improbable fléchissement de la politique en faveur des 100000 à 150000 sans-papiers de Suisse, le parlement améliorera-t-il le sort de leurs enfants? Ce lundi, le Conseil des Etats examine des motions en faveur de l'accès des jeunes clandestins à l'apprentissage. Après le vote favorable du Conseil national en mars, les sénateurs, davantage conservateurs, transformeront-ils l'essai?

Rachad Armanios dans le Courrier

Aucun commentaire: