« Je m'appelle Abraha. Érythréen, j'ai 37 ans. » Il écrit son histoire comme il la raconte. Avec calme, d'abord. Puis, quand les questions deviennent plus pressantes, il lâche tout. Ses conditions de détention abominables en Érythrée. Sa fuite. Dix ans d'errance en Europe à la recherche de sa famille... Abraha, sans papiers, a échoué à Arras. Apaisé, il y a fait une demande d'asile. Un article signé Sarah Bardis dans la Voix du Nord.
« Juliet a 10 ans, Milion, 9 ans, Rimon a 5 ans. Je ne les ai pas vus grandir. » Quand il parle de ses enfants, Abraha a pourtant le regard qui part loin, très loin, com me dans un doux rêve. Sa femme et ses trois enfants sont aujourd'hui Anglais. Ils ont obtenu leurs papiers.
Pas lui. Déboussolé par des années d'errance. Rejetté d'Angleterre. Ballotté entre les différents pays d'Europe. L'Italie, où il a laissé ses premières empreintes. La France, où il a fini par échouer, pour être au plus près des côtes. « C'est ubuesque, s'emporte Marise Douchet, responsable de la Cimade à Arras. Le réglement Dublin II est là pour que les dossiers soient pris en charge par un seul des états ! Et ce, en privilégiant le regroupement des familles ! Je ne comprends pas. » Abraha a demandé l'asile en France.
Flottant dans son blouson, le visage anguleux, Abraha raconte. Il est né en 1974 en Érythrée, alors province éthiopienne. « Je suis "half-cast", ça a toujours été un problème. » Né de mère éthiopienne, musulmane, de père érythréen, chrétien. « Mon père, dit-il, combattait avec le mouvement de libération de l'Érythrée. » Il meurt en 1992, un an avant que la province n'acquiert l'indépendance.
Réfugiée au Soudan, la famille décide de revenir s'installer en Érythrée en 1997. Abraha y rencontre sa femme Helen. « Nous étions pointés du doigt, car ma mère était Éthiopienne », dit-il. En 1999, Abraha voit sa mère et ses soeurs se faire expulser d'Érythrée. « Je n'ai plus jamais eu de nouvelles... » Lui reste, « j'étais utile, je travaillais comme mécanicien. » Il s'installe avec sa femme avec qui il donne naissance à une petite fille, Juliet en 2000. Trois mois après, il est arrêté et emprisonné. Sa femme, enceinte, fuit le pays avec son bébé. « J'ai été enfermé dans des containers. On souffrait, de tout. Alors qu'on nous faisait couper du bois dehors, j'ai pu m'enfuir.
J'ai marché de nuit vers le Soudan. » Puis, il passe en Lybie. Avec une idée fixe : « rejoindre l'Angleterre », où sa femme a trouvé refuge. Clandestinement, il part pour l'Italie, entassé avec une quarantaine de personnes à bord d'une barque de quelques mètres de long. Pour l'équivalent de 1 000 E payés au passeur. Abraha est arrêté à son arrivée. « Ils ont pris nos empreintes, on a pu repartir » Abraha remonte l'Italie. Puis prend, illégalement, un avion pour sa terre promise. Arrêté à l'aéroport. « Ils m'ont laissé vivre six mois avec ma femme. Puis, j'ai été expulsé. » Retour en Italie, où il a laissé ses premières empreintes. Déprimé, Abraha erre. Avant de gagner la France. Calais. Dans l'idée, toujours, de passer outre-Manche... Orienté par des bénévoles de la Cimade, Abraha se retrouve à Arras. « Là je suis bien. » Abraha est hébergé en foyer. Et touche 10 E par jour en attendant la réponse de sa demande d'asile. « Je veux rester là. Au moins, ma femme peut me rendre visite. » C'est ce qu'elle a fait, la semaine dernière. « Je viens de la voir cinq jours... Cinq jours pour cinq ans. mais c'est déjà énorme. »
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