mardi 22 décembre 2009

Un roman sur la situation des réfugiés en Suisse romande


LIVRE Corinne Desarzens a voulu faire coller «Le gris du Gabon», son dernier roman, à la situation des requérants d’asile en Suisse romande, «où la situation a considérablement empiré en 2009.»

ÉTIENNE DUMONT 21.12.2009 18:36

Il y a juste vingt ans, Corinne Desarzens sortait en Suisse romande son tout premier roman. «Il faut se méfier des paysages» racontait sur trois générations (au moins!) et deux continents une histoire extraordinairement complexe. «Je sais. On me reproche toujours d’écrire des livres où l’on se perd dans l’histoire.» N’empêche que le lecteur n’y perdait pas son temps, ce qui est l’essentiel. Seize autres volumes ont succédé à ce premier ouvrage. Presque tous ont paru chez Michel Moret, à l’Aire veveysanne. C’est d’ailleurs le cas pour «Le gris du Gabon», où la Vaudoise se souvient qu’elle a été journaliste avant de passer au roman, forme plus avouée de fiction.

- Comment ce livre sur les requérants d’asile est-il né?

Sur le plan de la forme, je dirais avec le perroquet qui lui a donné son titre. J’ai découvert sur un site Web cet oiseau ni très grand, ni très coloré, qui apprend à parler plus facilement que les autres perroquets. Il est très intelligent, le gris du Gabon! Il apportait en plus un élément africain et une assonance intéressante. Suivant comme on le prononce, «gris» devient «cri».

- Pourquoi avoir choisi la forme romanesque afin de parler du drame que vivent en Suisse les requérants d’asile?

D’une part pour le confort de la lecture. Il faut qu’il y ait une carotte au bout du bâton. De l’autre, parce qu’un document m’aurait obligé à tout dire. A m’appesantir. L’élément «vitesse» me semblait ici important. Il fallait écrire rapidement, parce que l’actualité bouge sans cesse. Le lecteur doit aussi pouvoir avancer à grandes enjambées, sans s’achopper à chaque chiffre, en plus contestable.

- Votre mari s’occupe de réfugiés depuis vingt ans.

C’est un élément parmi d’autres. Marc arrive avec les faits à table. C’est le versant raisonnable. Le monde de l’immigration, qui a atteint la Suisse avec les saisonniers des années 1950, je le perçois davantage sous forme de sensations. Il y a les souvenirs qui jouent, bien sûr, mais tout le monde sait que nous avons une mémoire en grande partie rêvée.

- Qu’entendez-vous par là?

Mon livre n’est pas écrit pas une militante. Je me base sur des contacts personnels. Des observations. Je me penche sur des détails. Les choses entendues. Je montre le phénomène des réfugiés tel que les gens le perçoivent. Je me branche sur l’actualité en évitant de donner des brèves de comptoir.

- Mais il y a tout de même la réalité!

La réalité, c’est que les conditions des requérants se sont terriblement durcies durant cette dernière année. Il a parfois suffi pour ça de changer deux mots dans un règlement. Enfourner des hommes par dizaines dans un sous-sol, comme ici à Nyon, c’est vraiment une nouveauté chez nous. Ces réfugiés, qui sont là pour un temps supposé bref, mais qui peut durer, vivent dans des conditions qu’on n’admettrait pas pour des animaux. Il s’agit, hélas pour eux, d’êtres humains.

- Un exemple

J’ai assisté au transport d’un requérant qu’on emmenait à Zurich. Il était attaché dans un fourgon, avec la tête plaquée au fond, comme s’il ne devait pas voir le paysage. En vous racontant ça, je réalise que je suis restée bien trop «correcte» dans mon livre. J’aurais pu parler de rafles et même de déportations. On envoie des requérants en Italie sans même savoir s’il y a quelqu’un pour les accueillir et sans se demander ce qu’ils deviendront. Certains ne trouvent personne à la gare d’arrivée et doivent mendier l’argent du billet de retour. Je connais au moins un cas.

- Mais pourquoi avoir ajouté un perroquet, une fillette qui disparaît, d’étranges messieurs d’un certain âge?

Je ne voulais pas que réfugiés et personnages fictifs produisent un effet de placage. Il fallait élargir l’horizon. Je me suis servie d’autres faits réels. Le perroquet, qui mesure à peine 30 centimètres, apportait sa vie. J’avais gardé en archives, car je conserve beaucoup de coupures de presse, l’affaire d’une petite fille disparue en Suisse allemande. Ces faits extérieurs sont venus nourrir l’histoire, qui ressemble du coup à la vie. La vie est faite de tas de morceaux qui ne vont pas ensemble. On s’y perd. Il est donc normal, pour revenir à votre première question, de se perdre dans un livre.

- Vous dites avoir un peu bâclé «Le gris du Gabon»

Mais c’est vrai! Il fallait que le roman colle à l’actualité Je devais en plus compter le temps de sa fabrication technique. Je ne pouvais pas me permettre qu’il paraisse en 2010, voire en 2011. On a pris du retard, à cause d’une disquette envolée. Mais finalement, tout a presque été dans les temps. Prévu pour le 5 novembre, le livre est sorti le 20…

- Quelle suite lui donner?

Pour moi, qui ai été frappé par ces hommes aux allures de princes qu’ont les Erythréens ou les Ethiopiens, il me fallait aller voir sur place. J’ai parcouru le Nord der l’Ethiopie fin 2009. Je retourne en janvier pour découvrir le sud du pays, dont la vallée de l’Omo. Un endroit dont je ne connaissais même pas le nom auparavant.

- Avec une perspective de livre?

Je vais écrire quelque chose.


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