mercredi 30 décembre 2009

Avant, l’étranger c’était l’Italien, maintenant, c’est le musulman

Minarets, voiles, crucifix… Le religieux n’a pas cessé de s’inviter dans le champ politique en 2009. Le regard du sociologue Jörg Stolz. Un article de Patrick Chuard dans 24 Heures.

© FRANCESCA PALAZZI | ​Pour le sociologue Jörg Stolz, directeur de l’Observatoire des religions en Suisse, «l’affirmation des valeurs chrétiennes est souvent une manière de faire du patriotisme, de dire qui nous sommes».

Directeur de l’Observatoire des religions en Suisse (ORS), le sociologue zurichois Jörg Stolz a suivi de près l’actualité 2009. Et pour cause: rarement la religion aura autant occupé les débats publics. Outre le vote sur les minarets et les polémiques sur l’islam, les jeunes socialistes neuchâtelois se disputent sur des questions de laïcité, le Valais réaffirme son attachement aux crucifix, le Parti évangélique lance une initiative populaire pour inscrire les valeurs chrétiennes dans la Constitution… Le directeur de l’ORS – créé il y a tout juste dix ans à l’Université de Lausanne – livre quelques réflexions.

– Les débats religieux en politique marquent-ils un retour de la religion?
– Je ne crois pas. La baisse de la pratique religieuse est constante. Toujours plus de gens accordent de l’importance à la spiritualité, mais sans lien avec un groupe ou une Eglise. Cela va de pair avec l’individualisation de notre société, où les gens apprécient de moins en moins qu’on leur dise ce qu’ils doivent croire ou faire. En revanche, le thème religieux est très présent dans les débats politiques et dans les médias, mais c’est une chose différente. Sur la question des minarets, au fond, j’observe que le débat n’a pas vraiment changé depuis des décennies: qu’est-ce qui relève de l’identité suisse et qu’est-ce qui est étranger? La problématique s’est simplement transformée, elle a pris une tournure religieuse.

– Il s’agirait donc d’une question identitaire transposée dans le domaine religieux?
– Tout à fait, du reste les arguments sont restés les mêmes: nous devons défendre notre culture, les migrants venant d’autres cultures ne peuvent pas s’intégrer, il faut être plus ferme, etc. Pour désigner l’autre, dans les années 70, on disait Italien, maintenant c’est musulman.

– Tout de même, l’islam pose des questions uniques, comme l’interdiction de mariages mixtes ou la remise en question de l’égalité hommes-femmes.
– Mais ce n’est pas nouveau, ni propre à l’islam. Au sein du catholicisme romain une femme ne peut pas devenir prêtre. Beaucoup de mouvements, des groupes évangéliques conservateurs ou des juifs ultraorthodoxes notamment, estiment fortement que les femmes doivent rester à la maison. Les Témoins de Jéhovah s’opposent aussi aux mariages mixtes. Certains groupes au sein de l’islam peuvent poser problème, je ne le nie pas, mais on ne peut pas dire que les musulmans en général ne peuvent pas être intégrés. La pratique dans beaucoup d’endroits en Suisse prouve le contraire.

– L’affirmation des valeurs chrétiennes se fait plus présente en politique. A quoi l’attribuez-vous?
– Selon moi, c’est souvent une façon de faire du patriotisme, de dire qui nous sommes. J’y vois un combat fortement identitaire. Pendant la campagne antiminarets, l’UDC a lutté avec l’Union démocratique fédérale (UDF), qui porte des valeurs religieuses. Il existe une parenté certaines entre leurs programmes politiques. Mais pour autant je n’ai que rarement entendu l’UDC jouer la carte de «nous, les chrétiens». C’était toujours «vous, les musulmans». Mais là encore, cela ne change rien à la situation réelle de la religion. Un fossé toujours plus grand sépare d’ailleurs «les vrais croyants» de la société, qui, elle, se sécularise. Les gens qui sont croyants paraissent de plus en plus étranges aux autres, ils semblent extraordinaires. Mais ils ne changent pas, c’est la société qui change.


«La Suisse n’est pas laïque»

– Pourquoi les Eglises traditionnelles ont-elles été si présentes dans le débat sur les minarets et se sont-elles engagées contre l’initiative?
– Deux réponses. D’abord, on pouvait interpréter cette initiative comme une attaque contre la religion tout court. C’est la place même de la religion dans la société qui était en jeu. De ce point de vue, quand la France a interdit le voile musulman dans les écoles, elle s’est montrée moins discriminatoire, car elle a interdit aussi tous les autres signes ostentatoires, comme la kippa et les grandes croix. L’autre réponse, c’est le dialogue interreligieux entamé par les religions. L’enjeu aujourd’hui est la paix entre elles, c’est ce que veulent les fidèles, les sondages le montrent.

– La Suisse doit-elle craindre pour sa laïcité?
– Mais la Suisse n’est pas du tout laïque! C’est une méconnaissance des faits. La Constitution fédérale est neutre – hormis l’invocation divine – et renvoie la question de la religion aux cantons. Et chaque canton a des pratiques différentes. Pour certains, il n’y a pas du tout de séparation Eglise-Etat. Je ne pense pas que ce fait va changer dans notre avenir immédiat. Si la Suisse devient encore plus séculière et multireligieuse, il y aura deux options possibles: soit on sépare l’Etat de la religion pour toute la Suisse – je n’y crois pas –, soit on estime que d’autres communautés religieuses peuvent être reconnues. Et je pense que l’islam, un jour, le sera.

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