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JUDICIAIRE | L’arrestation d’Adlène H., physicien du CERN, a ravivé les douloureux souvenirs de Mohammed Khaldi, soupçonné de terrorisme en France en 1994.LAURENT GRABET | 02.11.2009 | 00:00
Depuis quinze ans, chaque fois qu’il doit serrer une main inconnue, Mohammed Khaldi se sent mal à l’aise. Ses huit mois passés à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis ressurgissent. C’était en 1994, mais dans la tête de ce Lausannois d’adoption de 46 ans, c’était hier. Pour «avoir touché les mains» des mauvaises personnes au mauvais moment, l’Algérien a été soupçonné de terrorisme. L’arrestation le 12 octobre dernier en France d’Adlène H., physicien au CERN et enseignant à l’EPFL, a ravivé ces mauvais souvenirs: «Son cas m’a donné envie de témoigner de mon histoire, même si j’ai peur d’être à nouveau rejeté. Je ne connais pas cet homme, mais quelque chose au fond de moi me pousse à penser qu’il est innocent.»
Gilets pare-balles et mitraillettes
Sûrement le souvenir de ce triste 8 novembre 1994, «quand je suis devenu un grand terroriste du jour au lendemain.» Flash-back. Il est 6 h et il fait encore nuit noire à Clichy quand des policiers en gilet pare-balles et mitraillettes au poing défoncent la porte de Mohammed Khaldi, 32 ans. Sans explications, ils le plaquent au sol et «cassent tout en fouillant le petit appartement comme s’il s’agissait de celui d’Al Capone». A la même époque, ailleurs en France, plusieurs dizaines d’autres subissent les mêmes «rafles». Tous sont soupçonnés d’être impliqués dans l’affaire Chalabi. La plupart y sont étrangers.
Fraîchement débarqué de son Algérie natale pour fuir les violences du Front islamique du salut, Mohammed Khaldi est à l’époque réceptionniste dans un deux-étoiles au boulevard de la Chapelle. C’est là qu’il a «touché» les mauvaises mains. Après 72 heures de garde à vue, le Kabyle est présenté à Jean-Louis Bruguière qui lui signifie ses 13 chefs d’inculpation. «Association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste» est le principal. Le célèbre juge lui dessine aussi un organigramme de «l’entreprise» à laquelle il est censé appartenir et indique: «Vous êtes là.» Mohammed Khaldi risque d’en prendre pour quinze ans.
Après huit mois passés derrière les barreaux, il finira pourtant par être relâché. «Sous contrôle judiciaire.» Un cousin à qui il demande de l’aide l’ignore. Ses amis ferment les yeux. Son ancien employeur ne veut plus de lui. La suspicion plane. «Toute la vie que j’avais construite en France était comme effacée. C’est une honte d’être soupçonné de vouloir tuer des innocents!» Arrive ensuite un avis d’expulsion pour l’Algérie. «Je ne pouvais pas rentrer au pays avec un tel fardeau. J’étais seul face à moi-même dans la tourmente. Comme Adlène H. doit l’être aujourd’hui.» Des idées de suicide traversent alors l’esprit du musulman pratiquant qui décide finalement de faire face.
Un matin de 1996, il fait sa valise, file gare de Lyon et monte dans le premier train partant pour l’étranger. Destination: Genève. A son arrivée, l’Algérien demande l’asile et met son histoire sur la table. «J’étais certain de compliquer mon cas mais au moins, j’étais en accord avec moi-même.» En 1999, son procès se soldera par un «non-lieu». «Un non-lieu ne répondant absolument pas à des accusations qui, elles, étaient explicites et qu’il me faut porter depuis!»
Quinze ans foutus en l’air
Pendant toutes ces années en Suisse, Mohammed Khaldi le demandeur d’asile vit «dans une précarité totale». Les portes auxquelles il frappe «restent fermées ou s’ouvrent à moitié». Heureusement, des «Suisses formidables» lui tendent la main. Les recours se succèdent. En décembre 2008, l’homme obtient finalement son permis B. C’est un soulagement. Et une grande question qui se pose enfin: «Qu’ai-je fait de toutes ces années?» Réponse cruelle: beaucoup de course à pied, pas mal de foot en tant qu’éducateur
– «Ce qui m’a permis de tenir debout» – mais pas grand-chose d’autre. Mohammed Khaldi, le musulman pour qui la famille est la valeur centrale, n’en a pas fondé. «Infliger mon fardeau à une femme et des enfants était inconcevable!»
Aujourd’hui, il est médiateur culturel, préside la Maison algéro-suisse basée à Lausanne et veut tourner la page. Pouvoir «toucher des mains» sans regarder en arrière. Enfin.
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