jeudi 16 avril 2009

«UN ENTERREMENT SANS FIN POUR LE DROIT D'ASILE ET DES ÉTRANGERS»

   PROPOS RECUEILLIS PAR FABIO LO VERSO    

SuisseRÉFORMES - Sous l'impulsion d'Eveline Widmer-Schlumpf, une nouvelle vague de durcissements du droit d'asile et des étrangers s'annonce. Au terme d'une consultation attendue, les formations politiques et les organisations d'entraide ont confirmé les traditionnels clivages gauche-droite. Supprimer les demandes dans les ambassades ou faciliter les renvois des étrangers: le travail de sape se poursuit malgré la déchéance politique de Christoph Blocher. 
Les durcissements du droit d'asile et des étrangers ne sont appliqués que depuis un an à peine. Et voilà qu'Eveline Widmer-Schlumpf propose un nouveau tour de vis, sur lequel les partis et les organisations d'entraide étaient conviés à se prononcer jusqu'à hier, au travers d'une procédure de consultation. Christiane Perregaux, ex-présidente du Centre de contact Suisses-immigrés de Genève et coprésidente de l'Assemblée constituante genevoise, analyse les enjeux de cette double révision. Entretien. 


Quels sont les effets les plus contestables de la nouvelle révision de la loi sur l'asile?

Christiane Perregaux: Ils sont de plusieurs ordres. Certains ont une influence directe sur la possibilité pour des personnes en danger de déposer une demande d'asile, de faire recours et d'exprimer leurs opinions. D'autres concernent le message qui est donné à la population vivant en Suisse. Cette révision lui montre que la loi votée en 2006 n'était pas suffisamment coercitive puisque les demandes d'asile ont augmenté. Le leitmotiv des étrangers abuseurs resurgit. Ce n'est pas à une étude géopolitique pour aider la population à comprendre les conflits actuels, leurs causes et leurs conséquences en termes d'asile, à laquelle nous convie le Conseil fédéral mais au jeu du baromètre: plus il y a de demandes d'asile, plus notre législation doit être dure. 


Que reprochez-vous à la réforme du droit des étrangers?

Cette réforme augmente l'instabilité et le sentiment d'exclusion de nombreuses personnes non-européennes qui ne peuvent jamais savoir si elles auront droit à un permis d'établissement les mettant à l'abri d'un non-renouvellement de séjour. Et l'instabilité ne favorise pas l'intégration. Pourtant un nouveau concept, 'l'intégration particulièrement réussie', apparaît. Qui serait capable de dire aujourd'hui à quoi cela correspond, sinon à laisser une marge de manoeuvre incontrôlée à l'administration? Cette gestion des étrangers s'apparente à une forme d'apartheid. Elle continue de jeter la suspicion sur les étrangers, fait le jeu de l'UDC, et désinforme la population sur la nécessité pour le pays de pouvoir compter sur une main d'oeuvre étrangère. Par là même, elle crée des obstacles à l'intégration qu'elle dit promouvoir. 


Des juristes craignent que la révision du droit d'asile criminalise les activités politiques publiques en faveur des réfugiés, empêchant même des journalistes de relater ces activités. Partagez-vous ces craintes?

Je pense que la marge d'interprétation laissée dans le texte de loi pourrait mener à des abus selon les époques et les situations conjoncturelles, mais j'ose espérer que la riposte ne se ferait pas attendre. L'attachement à la démocratie, à la liberté d'expression et à l'Etat de droit devrait venir à bout d'un tel abus de pouvoir s'il devait y avoir criminalisation de ces activités. Un élément de plus pour espérer que la consultation qui vient de s'achever aura mis l'accent sur toutes ces mesures antidémocratiques et mènera au refus de la révision. 


Christoph Blocher a donné le ton, Eveline Widmer-Schlumpf le durcit. Une mauvaise surprise à vos yeux?

Un durcissement législatif lorsqu'il contribue à vider la loi du principe qu'elle doit défendre – le droit d'asile par exemple – ne peut être que mauvais. Est-ce une surprise? Nous aurions pu attendre de Madame Widmer-Schlumpf qu'elle se démarque des excès de son prédécesseur. Il n'en est rien. Elle participe à l'enterrement sans fin du droit d'asile et à l'élargissement des discriminations entre étrangers. Imaginez que même les proches d'un citoyen suisse pourraient être discriminés, en cas de manquements mineurs, par rapport aux ressortissants membres de l'Union européenne (UE) lors d'un regroupement familial. 


Le conflit entre l'UDC et la conseillère fédérale est-il un point positif ou négatif pour les opposants?

Lorsqu'on lit le contenu de la conférence de presse donnée hier par l'UDC, le désaccord porte sur le manque de courage de la révision, la mollesse des propositions. En revanche, une large coalition de partis, syndicats, associations et oeuvres d'entraide dénonce le fait que profitant d'une forme de contre-projet à l'initiative de l'UDC, Eveline Widmer-Schlumpf a ajouté d'autres points qui continuent à élargir la discrimination entre les Européens et les non-Européens. Le refus souhaité de cette révision pourrait-il se nourrir des dénégations de gauche et d'extrême droite? Personne n'en est maître. 


Que peut ou doit faire l'opposition de gauche pour renverser la tendance au durcissement?

La large coalition qui s'est réunie pour répondre à la consultation fédérale participe d'une volonté de créer un réseau véritablement national – on peut regretter que certains partis n'en fassent pas partie – pour développer une lame de fond dans ce pays qui rompe avec cette image stéréotypée de l'étranger abuseur, bien reflétée dans la révision actuelle. Plus ce discours circule, plus il rend difficile la confiance réciproque. Rendre des articles de lois redondants sur l'expulsion des étrangers pénalement condamnés sert ce dessein. Le conseiller d'Etat vaudois Philippe Leuba a bien montré il y a quelques jours que les cantons ont déjà tous les moyens légaux à leur disposition. Face à ce travail de sape, la gauche doit développer une alternative à la politique migratoire actuelle qui est avant tout une politique du soupçon et de la discrimination entre des étrangers aux statuts divers. Comme le montre le concept 'd'intégration particulièrement bien réussie' qui sera utilisé comme un sucre pour obtenir un permis d'établissement. Lorsque l'intégration n'est plus considérée comme un processus dans lequel le permis d'établissement participe comme un simple moyen, la gauche doit partir à l'offensive avec des propositions créant une vraie politique des migrations. I



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«Ces nouvelles réformes sont plutôt hâtives»

   PROPOS RECUEILLIS PAR FLO    

INTERVIEW - Le président du Parti radical suisse, Fulvio Pelli, émet des réserves sur la révision du droit, tout en saluant la démarche. 
En 2006, la réforme des législations sur l'asile et les étrangers avait suscité une dissension remarquée au sein du groupe radical-libéral aux Chambres. L'avocat Fulvio Pelli achevait sa première année de présidence du Parti radical suisse. Le Tessinois se souvient encore du débat interne à sa formation qui avait secoué les siens d'un bout à l'autre du pays. Trois ans plus tard, la nouvelle révision du droit est accueillie «sans trop de nervosité» par son parti, assure-t-il. «Il ne s'agit que de corrections législatives pour rendre les procédures plus efficaces.» Entretien avec un leader politique de droite pour qui «les problèmes de l'asile et des étrangers sont ailleurs». 


Après la révision de 2006, fallait-il nécessairement un nouveau durcissement?

Fulvio Pelli: Le Parti radical n'est pas vraiment convaincu de la nécessité de réviser le droit un an à peine après l'entrée en vigueur de lois très controversées. En ce qui concerne la législation sur les étrangers, le Conseil fédéral se devait toutefois de répondre à l'initiative de l'UDC pour le renvoi des étrangers criminels. Pour la clarté de la discussion, je rappelle que cette réforme touche les non-Européens, les habitants de l'Union européenne (UE) étant soumis au droit sur la libre circulation. Or le texte de l'UDC est clairement contraire aux droits fondamentaux. Dans le domaine de l'asile en revanche, Eveline Widmer-Schlumpf cherche à améliorer la pratique en vigueur. Mais son projet présente des aspects critiquables. 


Que reprochez-vous à la réforme de la loi sur l'asile?

Supprimer la possibilité de déposer une demande auprès d'une ambassade me semble une erreur. Cette mesure pourrait inciter les requérants à se rendre, illégalement, en Suisse pour y déposer leur dossier. Ce qui poserait également des problèmes au regard du traité de Dublin, auquel Berne a adhéré. La logique de cet accord veut que l'on dépose une requête dans le premier pays européen dans lequel on pose les pieds. Au milieu des Etats de l'UE, la Suisse transformerait l'Europe en une sorte de filet naturel, qui retiendrait les poissons avant qu'ils n'arrivent à bon port dans notre pays. C'est l'hypothèse du parti, à partir de laquelle on a demandé des clarifications au Conseil fédéral. 


Hormis la question des ambassades, relevez-vous d'autres points discutables?

D'une manière générale, les retouches me paraissent censées. Les problèmes sont ailleurs, dans les non-dits de ces réformes. Considérez un seul exemple, celui des «non-entrées en matière», les fameux NEM. Que fait-on d'eux? Comment répondons-nous à leurs questions légitimes? On savait bien, avant la réforme de 2006, que bon nombre d'entre eux ne pourraient pas être expulsés pour des raisons qui sont de plus en plus évidentes aujourd'hui. Christoph Blocher était persuadé que les NEM étaient l'une des solutions aux problèmes de l'asile. En grossissant les rangs des sans-papiers, ils sont devenus un casse-tête, notamment pour les cantons et les communes, d'un point de vue humain et financier. 


Concernant la loi sur les étrangers, le Conseil fédéral a-t-il, à votre sens, trouvé la parade contre l'UDC?

Non. Son contre-projet à l'initiative de l'UDC me laisse perplexe, parce qu'il n'est pas clair. Mon groupe parlementaire avait déposé une initiative listant avec précision les délits pouvant motiver une expulsion. Ce texte a été rejeté par les socialistes et l'UDC. Il ne comprenait pas les abus de l'aide sociale, comme le réclame l'UDC, mais des actes répréhensibles, comme les infractions graves à l'intégrité sexuelle ou les mariages forcés. Le texte du Conseil fédéral reste sui generis, c'est-à-dire plutôt vague. Or si on veut éviter que l'UDC capte le consensus de la population, il faut une réforme claire et précise. On n'y est pas. 


A vous entendre, la justification de cette révision aurait dû être celle d'une meilleure efficacité. A l'arrivée, est-elle plus idéologique que pratique?

C'est l'impression que j'ai au terme de la procédure de consultation. Que voulez-vous, dans le fond, sa principale instigatrice, Eveline Widmer-Schlumpf est une représentante de l'UDC. Elle a eu beau changer de parti, ce projet montre que sa ligne politique ne se démarque pas vraiment de celle de son ancienne formation. 
PROPOS RECUEILLIS PAR FLO

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