mardi 10 mars 2009

Le renvoi façon Dublin, c'est pas du cinéma

Le renvoi façon Dublin, c'est pas du cinéma

Fahad Kammas derrière les grilles de «La Forteresse». Quelques mois après le tournage, il s'était vu opposer une décision de non-entrée en matière.
Fahad Kammas derrière les grilles de «La Forteresse». Quelques mois après le tournage, il s'était vu opposer une décision de non-entrée en matière. (cineman)

Le renvoi d'un Irakien qui avait joué son propre rôle dans le documentaire sur l'asile «La Forteresse» a finalement été suspendu. Médiatisé, son cas illustre le jeu de ping-pong auquel sont confrontés certains requérants depuis que Berne applique la procédure de Dublin.

Liant une trentaine d'Etats européens, l'accord de Dublin procède d'une volonté de maîtriser les flux migratoires. L'un de ses objectifs est ainsi d'éviter que des demandes d'asile soient déposées en parallèle dans plusieurs pays différents.

Depuis le 12 décembre dernier, la Suisse collabore à ce système de réadmission. Elle met donc en pratique la règle qui veut que les requérants d'asile soient renvoyés dans le premier pays où ils ont déposé leur requête.

Ce qui se traduit pour un certain nombre d'entre eux par des aller-retour pénibles, dont fait notamment l'expérience Fahad Kammas.

Traducteur-interprète pour les Américains à Bagdad, ce jeune homme de 24 ans a fui l'Irak au cours de l'été 2007, menacé selon ses dires par des miliciens islamistes.

Son périple l'a mené en Syrie, en Turquie, en Grèce, en Suède, en France, puis enfin en Suisse début 2008. C'est là, dans le centre d'enregistrement de Vallorbe où se tourne alors La Forteresse, que son destin est mis en images par Fernand Melgar.

Primé dans plusieurs festivals, dont celui de Locarno, ce documentaire a aussi eu beaucoup de succès dans les salles. A en croire son réalisateur, les quelques requérants qui en sont les protagonistes malgré eux n'ont pas tous connu un parcours administratif aussi difficile que celui de Fahad Kammas.

Action de sensibilisation

Aujourd'hui, le sort du jeune Irakien est toujours en suspens. Il aurait dû être expulsé le 2 mars dernier vers la Suède – qui a déjà refusé de lui accorder l'asile -, mais le Tribunal administratif fédéral (TAF) a finalement suspendu l'exécution de son renvoi.

Présents à l'aéroport de Kloten le 2 mars, Fernand Melgar et d'autres y ont mené une action de sensibilisation autour de Fahad Kammas. «Il a refusé de monter dans l'avion, la police l'a contraint. Des passagers se sont indignés et le commandant de bord a décidé de le faire descendre», raconte le réalisateur.

Suite à cet épisode, la section suisse d'Amnesty International a demandé à la Confédération de réexaminer son cas. En espérant qu'elle reviendra sur la décision de non-entrée en matière prononcée en juillet 2008.

A l'époque, le jeune Irakien avait déjà été embarqué dans un «vol spécial» pour la Suède - un traitement que subissent près de 200 requérants par année dans le cadre de renvois forcés. De là, il aurait été renvoyé en Irak s'il ne s'était pas soustrait aux autorités pour vivre dans la clandestinité. Du côté de ses défenseurs, on estime donc que la décision du TAF est une victoire, mais une victoire d'étape seulement.

Pour un système d'exceptions

«Il faut que ce succès puisse d'abord se concrétiser pour Monsieur Khammas, mais il faut aussi faire en sorte que ce succès individuel devienne un succès institutionnel et que dans le cadre de l'application de Dublin, on ménage une possibilité systématique d'échappatoire réservée aux cas particuliers tels que celui de Fahad Khammas», indique le parlementaire socialiste Carlo Sommaruga.

En décembre 2008, relayant l'inquiétude de l'Observatoire du droit d'asile et des étrangers, il a déposé une interpellation devant le Parlement. Il y demande au gouvernement d'envisager l'introduction «d'un système d'exception à la logique implacable du principe de renvoi au pays précédent.»

Et d'argumenter en dénonçant notamment le fait que «les pays examinent tous avec des lunettes différentes les conditions de recevabilité de l'asile.»

A ses yeux, l'exemple de militants du PKK auxquels l'Allemagne avait par le passé refusé l'asile que la Suisse avait accordé, montre qu'il existe des «dizaines voire des centaines» de cas par année pour lesquels un régime d'exception se justifierait. Un avis qu'est loin de partager le gouvernement.

Dans sa réponse à l'interpellation de Carlo Sommaruga, celui-ci mentionne que la Suisse peut mener elle-même la procédure lorsque l'Etat vers lequel doit être effectué le renvoi n'offre pas les garanties suffisantes. Entendez par là que ledit Etat n'est pas signataire de la Convention européenne des droits de l'homme et de la Convention relative au statut des réfugiés.

Tendance au durcissement

«Cette réponse est en soi insatisfaisante. En réalité, ces garanties sont de type formel, elles existent dans tous les pays européens. Ce qu'il faut, c'est pouvoir accorder l'asile à une personne si elle en remplit les conditions selon le droit suisse, ceci quand bien même sa demande a été refusée dans un autre Etat», explique le parlementaire socialiste, qui promet de poursuivre le combat.

Reste qu'au niveau gouvernemental, la tendance est plutôt au durcissement en matière d'asile. Dans le catalogue de mesures mis en consultation à la mi-janvier, il est ainsi prévu d'introduire de nouvelles dispositions facilitant le renvoi des requérants dans le pays européen où ils sont arrivés avant de venir en Suisse.

A l'heure où le nombre d'immigrés arrivant d'Afrique et du Proche-Orient par mer ne cesse d'augmenter (+80% en 2008 selon le Haut commissariat aux réfugiés de l'ONU) et que des pays comme l'Italie voient exploser les cas de réadmission, les histoires aussi douloureuses que celle de Fahad Khammas risquent donc de se multiplier

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