samedi 28 février 2009

Initiative anti-minarets: débat explosif en vue


(Daniel Winteregg)

Le texte lancé par la droite ultranationaliste qui s’attaque à l’«islamisation rampante de la Suisse» passe au Conseil national mercredi. Le Conseil fédéral fait tout pour limiter les dégâts à l’étranger

Lire l'article de Stéphanie Von Grafenried dans le Temps

Son contenu est potentiellement explosif. L’initiative qui veut inscrire l’interdiction de la construction de minarets dans la Constitution fédérale, lancée par une poignée de représentants de la droite ultranationaliste, sera traitée au Conseil national mercredi. Elle n’a aucune chance d’être adoptée car seul le groupe parlementaire UDC la soutient. Mais le seul fait de débattre du texte qui va bien au-delà d’un simple problème de droit de construction crispe le Conseil fédéral. Et a déjà provoqué des réactions de rejet, de colère et d’incompréhension à l’étranger. Pour beaucoup, c’est l’initiative de tous les dangers.

L’UDC le dit clairement: l’initiative vise en fait à «stopper l’islamisation rampante de la Suisse et le minage constant de notre Etat de droit». Pour le parti, les minarets n’ont pas de caractère religieux «mais sont des symboles de puissance et l’expression d’une culture intolérante, qui place le droit islamique au-dessus du droit national». L’UDC n’y va pas par quatre chemins dans son dernier communiqué: «Il est grand temps de fixer des limites, faute de quoi les minarets seront suivis par des muezzins et finalement par l’imposition de la charia en Suisse».

«Répercussions fâcheuses»

Voilà qui annonce de vifs débats lors de la campagne de votation. Le peuple pourrait être appelé à se prononcer sur le texte à la fin de l’année, voire en septembre déjà. Sentant le danger et voulant à tout prix éviter une nouvelle «affaire des caricatures de Mahomet» qui avait enflammé le Danemark, le Conseil fédéral a déjà agi très rapidement. Fait rarissime, il a pris position contre le texte le jour même de son dépôt, le 8 juillet dernier. Pour bien expliquer notre système de démocratie directe, rappeler que le gouvernement suisse n’est pas à l’origine de l’initiative et donc calmer le jeu vis-à-vis des pays musulmans.

Pour le Conseil fédéral, l’initiative viole les droits de l’homme, menace la paix religieuse et ne contribuerait nullement à endiguer la diffusion des thèses fondamentalistes islamistes. Eveline Widmer-Schlumpf l’a dit en présentant le message du Conseil fédéral au parlement, rédigé en un temps record. Elle pourrait nuire à l’intégration de la communauté musulmane, «qui dans sa grande majorité respecte l’ordre social et juridique suisse», a rappelé la ministre. Eveline Widmer-Schlumpf a surtout répété qu’une interdiction des minarets «pourrait avoir des répercussions fâcheuses sur la sécurité des établissements suisses et sur nos intérêts économiques».

Effets contre-productifs

C’est ce que craint par-dessus tout le Conseil fédéral. Les dégâts d’image peuvent s’avérer grands. Très sensible, le débat sur la place de l’islam en Suisse risque de s’enflammer malgré les efforts répétés du gouvernement. Selon ses méthodes habituelles, l’UDC ne manquera pas d’exacerber les peurs existantes. Et contribuera à faire l’amalgame entre musulmans et islamistes terroristes. Les partisans pourraient bien inviter Al-Qaida dans la campagne – Ben Laden est déjà apparu en plein débat sur les naturalisations facilitées –, en rappelant que des otages suisses sont détenus en Afrique de l’Ouest par une branche du mouvement terroriste. Ou en faisant allusion au supposé «réseau suisse» autour de la très controversée Malika El-Aroud, veuve de l’assassin du commandant Massoud récemment arrêtée à Bruxelles dans le cadre d’une vaste enquête sur la violence islamiste.

Sur les «réseaux cachés» justement, le message du Conseil fédéral est très clair. «Les centres religieux cachés dans des caves ou des garages et fréquentés par des personnes appartenant à des mouvements fondamentalistes et islamistes sont plus dangereux que les mosquées dotées de minaret. L’initiative risque même d’avoir des effets contre-productifs, car elle pourrait aliéner certaines franges de la population modérée qui y verront une mesure inutilement vexatoire à leur encontre et seront tentées de basculer dans la frange extrémiste», avertit le gouvernement.

Jusqu’à présent, les musulmans modérés de Suisse, majoritaires, ont été très peu présents sur ce dossier, par crainte de lui accorder trop d’importance. Et c’est là que le bât blesse. Car c’est bien eux qui sont le plus en mesure de replacer le débat dans son contexte et de rassurer leurs pairs à l’étranger.

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