«Impressionnant», constate la conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf. Par son envergure autant que par l’honnêteté de son propos, le nouveau film du Lausannois Fernand Melgar relève à la fois du grand art et de l’objet de débat. Un article de Jean-Louis Kupfer, dans 24 Heures.
«Ce qui est terrible, c’est que nous ne savons pas d’où ils viennent et qu’ils ne savent pas où ils vont.» Ces mots d’une des collaboratrices du Centre d’enregistrement de Vallorbe, Fernand Melgar les cite en exergue de La forteresse, qui en illustre magnifiquement la réalité. Le sentiment de «ne pas savoir» est au cœur de la question de l’asile, qui a permis, avant les votations de 2006, à la propagande blochérienne (notamment) de développer deux portraits types du requérant: l’Africain dealer ou le Rom chapardeur. La réalité, on s’en doute, est bien plus complexe.
Fernand Melgar, fils d’immigrés espagnols, clandestin lui-même en son tout jeune âge, a vécu le résultat des votations sur l’asile comme une trahison, alors qu’il venait d’obtenir sa propre naturalisation. Autant dire qu’il était personnellement impliqué quand il a pris son bâton de pèlerin documentariste pour répondre à cette question: la Suisse est-elle xénophobe?
«Tout le monde a tenté de me dissuader de faire un film sur l’asile, commente-t-il aujourd’hui. Mais lorsque j’ai expliqué à Philippe Hengy, l’un des responsables du centre de Vallorbe, que j’entendais y passer deux mois, soit la durée la plus longue d’un séjour de requérant, mon projet a commencé de l’intéresser…»
Six mois de négociations (notamment avec l’Office fédéral des migrations) et de préparation avec l’équipe qui partagerait son immersion, deux mois de tournage (de décembre 2006 à février 2007), un patient travail d’apprivoisement de tous les «acteurs», requérants et collaborateurs du centre, des conventions de travail très précises et sécurisées: telle est la base logistique de ce documentaire qui voulait échapper au «contre» autant qu’au «pour», afin de vivre «avec» les protagonistes.
Résultat: sur 150 heures d’enregistrement, 100 minutes d’observations et d’émotions parfois bouleversantes, mais ne jouant jamais sur l’effet. «Lors de mes premières approches, notamment avec des aumôniers, je sentais qu’on me peignait le centre sous des couleurs apocalyptiques, puis j’en ai découvert de multiples autres aspects. Avant de séjourner à Vallorbe, je me faisais une image simpliste de la réalité, comme la plupart des gens. Or, ce qui m’est apparu de plus en plus fortement, c’est que la vie triomphe de l’enfermement. La réalité que je documente est très dure, mais j’ai voulu en capter toutes les nuances. «La seule fiction se trouve dans le réel», disait Godard. Et c’est à raconter ce réel que nous nous sommes efforcés.»
Ombres et lumières
Le terme de «forteresse» a valeur de symbole: c’est à la fois ce centre vaudois, qui tient bel et bien de la prison en dépit de son relatif confort, et la Suisse, l’Europe, l’Occident dont rêvent les damnés de la terre. Point de brutalité ni de hurlements à Vallorbe, mais des règlements stricts, l’encadrement sécuritaire – un gilet pare-balles entr’aperçu –, l’ennui et la tentation pour les hommes de le fuir par l’alcool.
Au fil de la procédure, des bribes de destins apparaissent. Récits parfois insoutenables. Avérés? La tâche difficile des collaborateurs est de trier. Le film montre admirablement leurs cas de conscience autant qu’il reste à l’écoute de chacun.
La TSR propose une interview de Fernand Melgar au festival de Locarno.
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