mercredi 21 mai 2008

Zoom sur des passeports

ALBAN ISENI, 38 ANS, KOSOVAR «Je suis né dans le village de Brod, à l’époque c’était au sud de ce qui s’appelait la Yougoslavie. Mais la Yougoslavie, je l’ai quittée quand les autorités fédérales de Belgrade voulaient m’envoyer à la guerre en Slovénie, en juin 1991. Je suis en Suisse depuis lors, avec deux passeports, français (j’ai été marié avec une Française) et un autre qui n’est pas un passeport, mais un document de voyage UNMIK – l’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo, qui est en train de s’effacer depuis la proclamation d’indépendance le 17 février dernier. Je dirige à Lausanne une entreprise, Transbrodi, de douze personnes, transports et déménagements. Comme je suis ressortissant de l’Union européenne, je n’ai pas besoin de passeport suisse, à quoi me servirait-il? Mes deux enfants, 3 et 5 ans, sont Français aussi. Nous sommes des Français très kosovars, mais dans la tête, on est Suisses, parce que l’important, c’est la vie qu’on vit, pas celle qu’on codifie sur un PHAM HUU PHUC, 58 ANS, VIETNAMIEN «Je suis né à Saigon, et j’étais officier dans l’armée républicaine du Sud-Vietnam. Quand nous avons perdu contre le Nord, je me suis retrouvé dans un camp de transit pour réfugiés, en Malaisie. On nous a promis l’Amérique, mais j’ai atterri en Suisse comme réfugié politique, c’était en 1981.
Actuellement, je tiens un kiosque indépendant au centre de Lausanne, et une épicerie asiatique, un peu plus loin, mais je vais bientôt la remettre. J’ai trois enfants (27, 26 et 25 ans). Ils sont tous les trois devenus Suisses en 1996, une procédure assez souple, à l’époque. Non, moi je ne suis pas Suisse, je n’ai jamais pris le temps d’y penser, je n’ai jamais été obsédé par cette idée, ça fait vingt-deux ans que je dispose d’un permis C, et ça allait très bien comme ça. Et puis, en 2006, je me suis dit que c’était peut-être le moment de faire le pas, avec toutes ces années passées ici, d’autant plus que je n’ai jamais remis
papier. Je regrette parfois l’image qu’ont certains Suisses des Balkans, et notamment des Kosovars: nous sommes des bosseurs, pas des criminels. Les délits qui ont été commis ici par des Albanais du Kosovo sont le résultat d’erreurs politiques commises sur place: on a ouvert les portes des prisons, et les pires éléments de la société sont venus prendre l’air en Occident. Mais c’est une période révolue: ils sont presque tous au trou! Et même si les préjugés ont la peau dure, je suis confiant. Le temps effacera cette incompréhension.» les pieds au Vietnam. J’ai donc déposé ma demande en septembre 2006, et suis passé devant une commission municipale à Lausanne en février dernier. Désormais, la procédure est plus longue, la politique de naturalisation s’est durcie: c’est normal, il y a eu des abus. Oui, je me sens Suisse. C’est mon seul pays.» EVA LIMLLERI, 28 ANS, ALBANAISE «Je suis née à Tirana. C’est les Suisses qui sont venus me chercher.
J’ai été sélectionnée par des professeurs de sciences sociales de l’Université de Lausanne pour venir étudier ici, dans le cadre d’un programme d’échanges avec ma faculté. Je termine une thèse sur la transition démocratique en Albanie. Je vis à Lausanne depuis sept ans, au bénéfice d’un permis B. Dans trois ans, j’aurai la possibilité de déposer une demande de naturalisation. Mes documents sont prêts, cela ne
MURAT YILMAZ, 32 ANS, SUISSE
«Je suis né dans la province de Gaziantep, au sud-est de l’Anatolie. Nous sommes arrivés en Suisse avec mes parents et ma soeur quand j’avais 8 ans. J’ai fait toute ma scolarité à Genève, où je travaille actuellement à mi-temps dans une association pour l’économie solidaire, en parallèle à la fin de mes études – ma thèse porte sur l’aspect social de la mondialisation économique. Je suis devenu Suisse il y a seize ans, à l’âge de 16 ans, en
devrait pas être très compliqué. Le problème, c’est qu’il faudra fournir aussi une preuve d’emploi stable. Or pour en obtenir un dans le secteur qui m’intéresse, l’humanitaire (j’ai fait un stage au Ministère de la coopération et du développement à Berne), il faut d’abord prouver que l’on dispose d’un passeport suisse, c’est un cercle vicieux. Aussi, je n’investis pas tout dans cette optique, ce n’est vraiment pas une fin en soi. En même temps, ce serait l’aboutissement logique de mon parcours personnel: je me sens bien ici, l’intégration s’est faite en douceur.
En arrivant, on comprend très vite ce que les Suisses attendent des étrangers: il faut donner des gages, prouver son désir d’intégration, comprendre quels sont nos devoirs. Je crois que je suis devenue plus Suissesse qu’Albanaise, j’en ai souvent marre de devoir expliquer mes origines d’Européenne de l’Est. Mais après avoir fait ses devoirs, on mérite aussi des droits.» même temps que toute ma famille. Suisse, ou Turc? Je ne sais plus, cela n’a pas d’importance, je suis Européen. Ce qui compte, ce sont les valeurs auxquelles on est attaché: droits de l’homme, démocratie.
En Turquie, elles reculent; je ne me reconnais plus dans la manière dont la société évolue, s’islamise.
Le passeport suisse tel qu’il est présenté sur les affiches de propagande est un soi-disant Graal auquel on souhaite accéder à tout prix: je ne crois absolument pas à cette manière de présenter l’enjeu.
Aujourd’hui déjà, la nationalité helvétique n’est délivrée qu’après un processus précis, que je crois assez juste: le candidat doit faire preuve de son désir d’intégration, le passeport n’apparaît pas dans une pochette-surprise. Mais je pense que les étrangers, en Suisse, devraient davantage prendre leur destin en main, avoir une attitude active face au pays d’accueil, s’impliquer sur la place publique. On assécherait ainsi le terreau électoral, qui a beau jeu de
capitaliser sur la montée du communautarisme.»













NATURALISATIONS

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