mercredi 14 mai 2008

Batailles de chiffres sur les naturalisations

Le nombre de personnes recevant chaque année un passeport suisse a beaucoup augmenté au cours des quinze dernières années. Un argument mis en avant par l’UDC. Mais chacun lit les statistiques à sa manière. Un article de Lucia Sillig dans 24 Heures.

«Halte aux natu­ralisations en masse!» C’est le titre de l’argumentaire de l’UDC sur la votation du 1er juin. Pour soutenir son initiative, le parti produit force chiffres et graphi­ques. «Le nombre de naturalisa­tions a presque octuplé entre 1991 et 2007!» font valoir les démocrates du centre. Une pro­gression confirmée par l’Office fédéral des migrations (ODM). Mais l’interprétation de ces chif­fres diffère.
«Politique
laxiste»
Pour l’UDC, l’augmentation du nombre de naturalisations par année est «une conséquence directe de la politique migra­toire laxiste menée ces dernières décennies». C’est le résultat d’une baisse des exigences dues aux effets «des pressions de la gauche et des décisions judiciai­res aberrantes». Elle cite en exemple la limitation des émolu­ments aux seuls frais adminis­tratifs depuis 2006, ou encore l’introduction, en 1996, de la naturalisation facilitée pour les conjoints de citoyens suisses.
Les chiffres de l’ODM (qui ne prennent pas en compte les re­naturalisations d’enfants de Suisses à l’étranger, 1773 person­nes en 2007) montrent en effet une importante progression ces quinze dernières années (voir ci-contre). Avec toutefois un re­cul entre 2006 et 2007. «Il y a plusieurs causes à cette progres­sion », observe Jonas Montani, porte-parole de l’ODM. Il cite, effectivement, la limitation des coûts mais évoque aussi la re­connaissance, en 1992, de la dou­ble nationalité par la Suisse et l’Italie. De quoi influencer signi­ficativement les statistiques en raison de l’importance de la communauté transalpine. En 2006, quand l’Allemagne a fait de même, le nombre de naturali­sations d’Allemands a presque doublé.
Chiffres pas si importants

«Avant 1992, les personnes qui se mariaient n’entraient pas dans la statistique parce qu’elles deve­naient automatiquement Suisses, ajoute Jonas Montani. Après, il fallait être marié depuis 3 ans et être en Suisse depuis 5 ans.» De plus, suite au refus de la naturali­sation facilitée pour les étrangers des 2e et 3e générations en 2004, plusieurs cantons ont assoupli leur procédure. Jonas Montani rappelle aussi que la population étrangère a augmenté de 30% entre 1991 et 2007 et qu’il y a donc beaucoup plus de person­nes qui remplissent les critères pour déposer une demande. Il souligne qu’actuellement le nom­bre de candidats potentiels s’élève à 774 000. En comparai­son, il trouve les quelque 43 000 naturalisations de l’année der­nière peu nombreuses.
«L’augmentation des naturali­sations n’est pas la principale motivation de notre initiative», commente le conseiller national UDC Guy Parmelin. Pourtant, elle tient une bonne place dans l’argumentaire. «En ramenant la naturalisation au niveau d’une simple procédure administra­tive, le Tribunal fédéral (ndlr: qui a interdit les naturalisations par les urnes en 2003) a encore plus ouvert les vannes, répond le Vaudois. Le plus important, c’est qu’on retourne à une décision politique.» Pour la socialiste Ada Marra, coprésidente du comité «Non aux naturalisations arbitraires», le fait que peu des candidats potentiels déposent une de­mande montre qu’il ne s’agit pas d’une démarche purement ad­ministrative. «Sinon, tout le monde le ferait. Ce n’est ni un acte administratif ni, heureuse­ment, politique: il ne faudrait pas que des personnes puissent être prises en otage par la majo­rité du moment. Pour moi, c’est avant tout un acte symbolique, pour ceux qui demandent la naturalisation, comme pour ceux qui la donnent.» Elle rappelle que seuls 3,1% de la population étrangère en Suisse entreprend de telles dé­marches, un taux très faible en comparaison internationale. «Si on regarde en pourcentage de la population, la Confédération na­turalise bien plus que d’autres pays dits très ouverts, comme la Suède», rétorque Guy Parmelin. Difficile de sortir de la guerre des chiffres.

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