mercredi 9 avril 2008

De quelle démocratie parle-t-on?

«Il est injuste et choquant que des personnes établies depuis longtemps dans le canton, y payant leurs impôts et contribuant à sa prospérité, n’aient pas voix au chapitre»


Raphaël Mahaim, député, les Verts,
invité de la rubrique Réflexions
du 24 Heures

Il est parfois étonnant de voir à quel point certains débats politiques passent inaperçus. Tel a été le cas pour le droit de vote des étrangers sur le plan cantonal, pourtant âprement discuté au Grand Conseil en début d’année. Une initiative constitutionnelle visant à attribuer le droit de vote et d’éligibilité sur le plan cantonal aux étrangers ayant vécu dix ans en Suisse et trois ans dans le canton a été rejetée de justesse, à une voix près. Les médias s’en sont très peu fait l’écho et la discussion n’a pour ainsi dire pas dépassé les murs de l’arène politique.

Il s’agit pourtant de l’une des discussions actuelles les plus importantes en matière de droits démocratiques. Dans un monde de plus en plus multiculturel, où la migration concerne des millions de personnes, la démocratie se doit d’évoluer. Il est injuste et choquant que des personnes établies depuis de nombreuses années dans le canton, y payant leurs impôts et contribuant à sa prospérité, n’aient pas voix au chapitre.

Il se pourrait que ce débat revienne quelque peu sur le devant de la scène – certes indirectement – à l’occasion de la campagne en vue de la votation du 1er juin sur l’initiative pour des naturalisations par les urnes. En effet, les opposants à l’attribution du droit de vote aux personnes étrangères font systématiquement le lien avec les naturalisations. C’est même leur principal argument: puisque les étrangers ont la possibilité de se faire naturaliser, il n’y aurait pas, selon eux, matière à se poser la question du droit de vote.

Cette argumentation n’est pas soutenable, pour au moins deux raisons.

Tout d’abord, il faut voir que ceux qui vantent les mérites de la naturalisation pour justifier le refus du droit de vote des étrangers ont un double langage. Ce sont en effet les mêmes qui cherchent à rendre les naturalisations plus restrictives, notamment avec l’initiative pour des naturalisations par les urnes. Cette attitude manque ainsi singulièrement de courage. Il serait beaucoup plus transparent – mais évidemment bien plus difficile à assumer – de dire clairement que l’idée qu’une personne étrangère donne son avis sur les affaires du canton dérange profondément.

L’autre raison tient à la conception du droit de vote. Je suis d’avis que le droit de vote sur le plan cantonal ne doit pas nécessairement être lié au fait d’avoir le passeport à croix blanche. Un grand nombre de personnes étrangères et établies depuis «toujours» en Suisse sont plus impliquées dans la vie publique que certains Suisses. Les expériences faites avec le droit de vote au niveau communal semblent concluantes et vont exactement dans ce sens.

L’initiative concernant les naturalisations par les urnes porte le nom fallacieux d’initiative «pour des naturalisations démocratiques», alors qu’elle les rend en réalité plus restrictives et plus arbitraires. Ne nous y trompons pas. Si l’on durcit encore davantage les règles de la naturalisation et que l’on refuse parallèlement d’accorder le droit de vote aux étrangers sur le plan cantonal, c’est bien la démocratie qui est au final la grande perdante…


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