mercredi 14 novembre 2007

Daniel de Roulet dézingue Christoph Blocher et le banquier moustachu


Lire ce texte paru dans Le Monde
Depuis une quinzaine d'années, les intellectuels helvétiques ont cessé de se suicider. La dernière fois que Le Monde a publié en première page un article intitulé "Le suicide d'un dissident suisse", c'était le 1er octobre 1993. Il s'agissait de Nicolas Meienberg, qui avait tenté d'expliquer en vain à ses concitoyens la compromission de certains industriels de son pays pendant le nazisme. Une campagne de presse d'une rare bassesse avait conduit Meienberg au suicide. Il avait exigé de ne pas être inhumé en Suisse. Avant lui, en 1991, Max Frisch, souffrant d'un cancer, avait renvoyé son passeport, comme pour ne pas mourir suisse. En 1990, Friedrich Durrenmatt s'était écroulé, trois semaines après son discours à Vaclav Havel. Les membres du gouvernement lui avaient tourné le dos, lui refusant même une poignée de main après la cérémonie.



Mais, en 1995, la Suisse sortait enfin de la guerre froide. Un rapport d'historiens sur les fonds juifs accaparés par les banques helvétiques après la seconde guerre mondiale rendait public et officiel ce que, depuis vingt ans, tous les intellectuels avaient répété. Grâce à la pression internationale, la Suisse était enfin un pays comme un autre.

Cet abandon de la guerre froide n'est pas du goût de tous. Depuis le début des années 1980, quelques revanchards voient leur rente de situation disparaître. Ils ont donc décidé de reconstruire un mythe national-conservateur et le parti qui l'accompagne. Christophe Blocher en chef de file, soixante-huitard de l'autre bord, comme il aime à se définir, a fait ses premières armes en défendant le régime raciste sud-africain et en niant l'existence de l'apartheid. Son négationnisme lui a permis de trouver l'appui de quelques banquiers nostalgiques.


Au début, on a pu croire que ce mouvement réactionnaire ne trouverait pas de quoi s'alimenter en Suisse. Par référendum, le peuple avait accepté de faire participer le pays à l'ONU, et l'entrée dans l'Europe ne semblait que partie remise, le temps que les salaires européens s'alignent sur ceux de la Suisse. Mais rien ne s'est passé si simplement. L'exploitation politique de l'afflux de réfugiés des Balkans et l'appui de quelques banquiers isolationnistes valent donc à la Suisse un destin qui ressemble à ce que viennent de vivre Autrichiens et Polonais : la droite extrême au pouvoir.

Mais, cette fois, aucun intellectuel helvétique ne semble vouloir se suicider. Les artistes helvétiques sont présents comme jamais sur la scène mondiale. D'excellents architectes, des plasticiens remarquables, d'irrésistibles chanteurs et même quelques écrivains, tous antiblochériens convaincus, ont à peine fait entendre leur voix sur ce sujet. C'est qu'ils sont souvent expatriés, voyageurs, ou même de nationalité frontalière.

Ils ont adopté un point de vue tellement éloigné du nationalisme qu'ils peinent à s'indigner vraiment. Ils ont pris de l'avance, se sont persuadés que leur pays n'est définitivement ni pire ni meilleur qu'aucun de ceux que l'Europe a produits. Leur optimisme reste contagieux. Il signale à ceux qui en doutent que Blocher passera, comme Haider et les jumeaux burlesques sont passés.

Et si un jour de 2009, comme cela semble désormais très probable, Blocher devenait président de la Confédération, il suffirait alors que quelques Français célèbres (tel directeur d'écurie automobile, tel acteur beau gosse, tel chanteur infatigable) abandonnent leur résidence en Suisse et retirent leur argent des coffres lémaniques. On verrait alors le président du conseil d'administration de l'Association des banquiers suisses, dont l'énorme moustache n'est vraiment pas hitlérienne, retirer son soutien à Christophe Blocher. Car l'enthousiasme d'un banquier pour la xénophobie n'a d'égal que son immense opportunisme. Privé d'appui et de successeur charismatique, il redeviendrait alors ce qu'il a toujours été, un anachronisme pénible, soutenu par quelques saltimbanques singeant une guerre froide terminée depuis longtemps.

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