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La très célèbre Amnesty International se fend d'un volumineux rapport sur les manquements des polices suisses en matière de droits humains. Parmi les pays européens, seuls le Royaume-Uni, la France et l'Allemagne ont jusqu'à présent fait l'objet d'une telle enquête spécifique. L'ONG se dit «préoccupée» par certaines dérives impliquant des traitements dégradants et inhumains, ainsi que l'usage abusif de la force. Des pratiques clairement discriminatoires sont mises en évidence, des catégories entières de la population –en premier lieu les Noirs et les demandeurs d'asile– sont stigmatisées. Même s'ils se comptent heureusement sur les doigts d'une main, plusieurs cas d'intervention ont, ces dernières années, entraîné la mort des victimes. D'autres conserveront des séquelles à vie. La plupart des fonctionnaires incriminés ont pu jouir d'une impunité de fait.
Après les sévères critiques adressées à la Suisse sur le même thème par le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Alvaro Gil-Robles, puis par le rapporteur spécial de l'ONU sur les formes contemporaines de racisme, Doudou Diène, il est souhaitable que ce nouvel avertissement soit pris au sérieux. Le rapport d'Amnesty ne se borne pas à dénoncer les faits: sur la base de son expérience internationale, l'ONG émet une série de recommandations qui ont permis à d'autres corps de police –y compris semble-t-il en Suisse avec l'exemple neuchâtelois– d'évoluer vers une approche plus conforme à la légalité et à la proportionnalité. Elles touchent aussi bien la législation que l'organisation interne et la formation des forces de l'ordre. La Suisse a non seulement les moyens mais aussi le devoir de se hisser parmi les bons élèves en matière d'action policière.
La création d'organismes indépendants pour le traitement et l'instruction des plaintes visant la police est l'une des propositions phare. Car les défenseurs des droits humains en général le répètent depuis des lustres: dans l'écrasante majorité des cantons, les victimes alléguées de violences policières n'ont que très peu de chances de faire valoir leurs droits. Dans ce genre d'affaires, la trop grande proximité entre les forces de l'ordre et la justice porte quasi systématiquement préjudice aux plaignants. Quant aux structures de type commissariat à la déontologie (ou bureau de médiation), elles n'ont de loin pas fait leurs preuves, tant leur pouvoir et leur autonomie sont limités. La future harmonisation des vingt-six codes de procédure pénale que compte la Confédération offre une réelle opportunité de combler cette lacune, a rappelé hier Amnesty.
La classe politique helvétique se penchera-t-elle seulement sur les constats et les suggestions de l'ONG? Au vu de l'accueil réservé aux travaux d'Alvaro Gil-Robles et de Doudou Diène, la réponse ne fait guère de doute... La Conférence des directeurs cantonaux de justice et police (les conseillers d'Etat en charge du dossier) a d'ailleurs très vite annoncé la couleur en qualifiant de «tendancieux» le rapport d'Amnesty International. Circulez, y a rien à voir.
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