Lire l'opinion de Claude Monnier dans 24heures
Les renvois de requérants d’asile déboutés, et de leurs enfants souvent nés en Suisse, vont se multiplier, déchirant bien des destins. Ces souffrances imposées protègentelles au moins nos meilleurs intérêts?
Bien sûr, nous ne sommes pas les seuls à être déstabilisés par les forts mouvements d’immigration, légale ou illégale, qui caractérisent l’époque. Toute l’Europe connaît des craintes similaires. Et les Etats-Unis eux-mêmes, qui ont fondé leur identité psychohistorique sur le «rêve américain », celui du petit immigrant ne parlant pas un mot d’anglais, mais doué et bossant dur, qui devient millionnaire, s’angoissent aujourd’hui de la présence sur leur sol de 12 millions d’immigrants illégaux qui font marcher une partie de leur économie. Pour tenter de mitiger cette angoisse, les leaders républicains et démocrates du Sénat avaient élaboré il y a quelques jours un compromis – qu’ils viennent tout juste d’annuler! Ce compromis aurait permis aux illégaux de régulariser leur situation en payant une sorte d’amende de quelque 5000 dollars par tête et, après un certain temps, de demander la nationalité américaine; à défaut de paiement, ils auraient été expulsés (ce qui est plus vite dite que fait, comme on sait chez nous). Et, à futur, les Etats-Unis auraient limité les possibilités de regroupements familiaux pour privilégier une «immigration choisie».
On peut comprendre qu’angoissées par les effets forcément déstabilisants des immigrations fortes, nous soyons, en Suisse, en Europe, aux Etats-Unis, tentés d’ériger à nos frontières des barricades à chicanes sophistiquées. Trois remarques s’imposent néanmoins.
Primo: à la longue il sera intenable d’avoir, d’un côté, un marché des capitaux et des marchandises totalement libre et mondialisé, et de l’autre, un «marché» des personnes sévèrement cloisonné; cela ne marchera tout simplement pas. On n’attrape pas le vent avec des filets à papillons. Secundo: l’Occident, qui place au sommet de ses valeurs la mobilité sociale ascendante par le talent, le mérite et l’effort, s’ébaubit aujourd’hui des succès de la Chine et de l’Inde, qu’hier nous considérions comme les pays les plus minables de la terre; pourquoi n’éprouverions-nous pas, de la même manière, de l’admiration pour les Africains ou les Péruviennes qui, abandonnant tout derrière eux et suivant des filières terrifiantes, tentent de s’assurer chez nous une vie meilleure? Aurions-nous, personnellement, le courage d’oser le quart de ce qu’ils osent?
Tertio: à la longue, nos pays vieillissants auront un besoin vital de ces immigrants fous de travail, qui risquent jusqu’à leur peau pour venir gagner davantage sous nos latitudes, où d’ailleurs ils finissent généralement par faire souche. Leurs enfants, qui auront -- un peu comme Nicolas Sarkozy -- , quelque chose à prouver, deviendront souvent ingénieurs ou médecins ou… présidents. On l’a vu, en Suisse, avec les Italiens et les Espagnols.
Si nous nous barricadons aujourd’hui, sachons que la facture du vieillissement et de la décadence de nos pays d’Occident, ce n’est pas nous qui allons la payer, mais nos petits-enfants, et les petits-enfants de nos petitsenfants. Voulons-nous vraiment leur laisser un héritage aussi médiocre?
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