Lire cet article de Vincent Bourquin dans 24 Heures
L’islam a en partie supplanté les requérants d’asile comme cible principale de ceux que les étrangers inquiètent. Et l’initiative «anti-minarets» n’est que la partie émergée de l’iceberg. Le «choc des civilisations», cher à George Bush, se dessine en toile de fond.
Interdire la construction de min arets en Suisse, c’est le nouveau combat de la droite nationale en Suisse. L’initiative fait grand bruit. Tant à l’intérieur de notre pays qu’à l’étranger. Elle représente l’ultime avatar d’une focalisation de l’opinion publique sur les musulmans. Les étrangers seront à nouveau au cœur de la campagne électorale en vue des élections de cet automne. Mais désormais, l’islam a en partie supplanté les requérants d’asile comme cible principale de ceux que les étrangers inquiètent.
Le politologue de l’Université de Lausanne Oscar Mazzoleni rappelle que l’UDC, notamment, semble «surfer» sur la vague du «choc des civilisations», si cher à George Bush. Et de citer l’exemple d’une affiche vue lors des dernières élections zurichoises: «les valeurs suisses à la place de la charia». Les élections cantonales de ce printemps ont ainsi été riches en enseignement. «L’UDC a utilisé l’islam comme antithèse aux valeurs helvétiques», constate Oscar Mazzoleni. Des chiffres chocs ont été publiés: entre 1970 et 2000, la population musulmane à Zurich aurait ainsi augmenté de 1560%.
L’islamophobie ne date pas d’aujourd’hui
L’islamophobie en Suisse ne date pourtant pas du 11 septembre 2001. Historien à l’Université de Fribourg et auteur de plusieurs recherches sur la droite radicale et sa relation à l’islam, Damir Skenderovic insiste sur la continuité: «Ce discours s’inscrit dans la tradition d’une droite populiste en Suisse», affirme-t-il.
Ainsi au début des années 80, l’Action nationale (aujourd’hui rebaptisée Démocrates suisses) évoquait déjà le «danger de l’islamisation de la Suisse». Tout comme l’Union démocratique fédérale, parti fondamentaliste chrétien. Un discours repris en 1983 par Vigilance, à Genève.
A la fin des années 80, un auteur alémanique, Beat Bächlin écrivait un livre intitulé: L’islam va nous bouffer. Des extraits de cet ouvrage ont notamment été reproduits dans le journal de l’Action nationale.
Dès les années 90, ce thème va être repris par la section zurichoise de l’UDC. Notamment par l’un des principaux idéologues de cette nouvelle droite populiste, le conseiller national Ulrich Schlüer. Cet homme est d’ailleurs à l’origine de l’initiative contre les minarets. Tout comme il est le premier à avoir fait de l’islam un thème de politique fédérale. En 2004, il avait ainsi déclaré que si la naturalisation facilité était adoptée, les musulmans seraient bientôt majoritaires en Suisse.
Cette diabolisation des musulmans est-elle purement électoraliste? Damir Skenderovic ne le pense pas: «Il y a une véritable idéologie de l’exclusion», analyse-t-il. Oscar Mazzoleni parle, lui, de «stratégie réfléchie»: «L’UDC a toujours besoin de définir les étrangers. Avant c’étaient les Tamouls, les Kosovars ou les Africains, c’est désormais les musulmans. Et dans ses affiches, le parti zurichois mélange l’islam avec la criminalité, les coûts de l’asile et l’aide sociale.»
Blocher-Bush, même combat?
Une idéologie marquée par le christianisme comme chez les néoconservateurs américains? Pour Damir Skenderovic, la droite dure helvétique et les démocrates du centre sont davantage marqués par l’aspect culturel de l’occident que par les notions religieuses du christianisme. Quant à Oscar Mazzoleni, il rappelle que Christoph Blocher, est très marqué par le protestantisme. D’où le lien fait par de nombreux chercheurs avec la «révolution conservatrice américaine», et ses composantes constitutives: libéralisme économique, conservatisme moral et valeurs religieuses.
Président du groupe de recherche sur l’islam en Suisse, Stéphane Lathion voit lui aussi le «choc des civilisations» derrières les propositions de l’UDC. Il en appelle au civisme: «On complique l’intégration en stigmatisant ainsi une partie de la population. Il ne faut pas mélanger la méfiance légitime envers d’éventuels groupuscules extrémistes avec des amalgames qui manipulent émotions et fanta smes.»
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