Le calme avant la tempête? Depuis plus de deux ans, Berne reste coite sur la demande de régularisation collective de 5000 cas de sans-papiers de l'économie domestique. Un silence qui semble paradoxalement arranger tout le monde... Partant du constat que les chances d'acceptation sont plus que faibles de la part d'une administration conservatrice dirigée par l'UDC Christoph Blocher, une non-réponse vaudrait mieux qu'un refus sec pour les Genevois. Mais il y a aussi un fol espoir: les prochaines élections fédérales, dans cinq mois, pourraient changer la donne à Berne. Un mouvement social d'ampleur pour la régularisation pourrait par ailleurs se développer dans d'autres cantons. C'est justement ce que veut éviter le gouvernement fédéral. Ne pas réveiller l'eau qui dort par un refus retentissant et permettre ainsi le rassemblement des forces progressistes. Mais l'attente a un coût: «Face à ce qu'ils perçoivent comme de l'immobilisme, les sans-papiers éprouvent un grand sentiment de solitude, voire d'abandon. Ne voyant pas de résultat concret, ils n'ont plus confiance dans les organisations qui les soutiennent», affirme Silvia Marino, du Collectif des travailleurs sans statut légal. Et si, malgré tout, le refus intervenait demain? «Il ne faut pas que la machine à renvois se mette en route à Genève», répond Ueli Leuenberger, président du Collectif de soutien aux sans papiers, qui compte sur une position volontariste du canton pour contrer la politique fédérale, et ne pas expulser. Le nouveau Conseil d'Etat, élu il y a un an et demi, ne s'est pas encore prononcé officiellement sur la question des sans-papiers, mais il s'inscrit dans la continuité du gouvernement précédent, assure Nadia Borowski, secrétaire adjointe au Département des institutions. Le canton pourrait donc tenir tête à Blocher: «Berne se rend bien compte que nous avons besoin des sans papiers pour notre économie», assure Mme Borowski. Reste que, même dans ce cas de figure optimiste, les conditions de vie des sans-papiers demeurent désastreuses à Genève. D'autres idées pour améliorer leur sort à défaut de statut légal? Le prochain pas sera le droit à la formation pour les jeunes, assure Ueli Leuenberger. L'apprentissage, notamment, devra être rendu possible avec l'aide du canton. Mais la manoeuvre sera serrée, sans l'aval de Berne... CKR
Ils sont plus de 7000 à Genève et n'existent pas. Qui sont-ils? Colombiens, Boliviens, Philippins ou Albanais, ils font économiser des dizaines de millions aux collectivités publiques locales et n'ont pourtant pas droit aux permis de séjour et de travail1. Vous avez dit invisibles? Présents auprès des personnes âgées, handicapées et des enfants en bas âge à Genève, ils soignent, maternent, rassurent, prennent soin, réparent, nettoient, et vivent cependant dans la précarité, parfois extrême. Les personnes sans statut légal travaillant dans l'économie domestique, plus connues sous le nom de sans-papiers, attendent toujours une régularisation collective, qui, probablement, ne viendra pas à court terme (lire en page 3). Dans l'attente d'une réponse de la Berne blochérienne, ils ont été un peu oubliés depuis la demande de régularisation déposée par le Conseil d'Etat genevois en 2005. Le Courrier a donc décidé d'aller à leur rencontre. Comment vit-on sans papiers à Genève?
Moins chers, voir gratuits...
«J'ai dormi dans la cave du restaurant pendant un an et demi.» Coincée entre la machine à laver et la très bruyante productrice de glaçons, Valentina*, originaire de Colombie, ne disposait ni du réseau nécessaire, ni d'un salaire suffisant 1600 francs par mois pour 60 heures de travail hebdomadaire pour trouver un logement à son arrivée à Genève. Un cas extrême qui reflète néanmoins la position de fragilité dans laquelle se trouvent les personnes sans papiers, surtout dans les premiers temps. Situation que ne manquent pas d'exploiter nombre d'employeurs, payant entre 5 et 15 francs l'heure, sans compensation pour les jours manqués pour cause de maladie, sans vacances, sans garanties... Le tarif horaire ne constitue pourtant pas le pire, de nombreux patrons exigeant du travail gratuit: «Je prends un risque en vous engageant, je ne vous paierai donc pas les heures supplémentaires», s'est vu répondre plusieurs fois Vincent*, jeune homme arrivé du Burkina Faso il y a trois ans. Des salaires de 800 à 1000 francs sont donc très courants parmi les sans statut légal de Genève. Même si de nombreux employeurs sont très corrects, et prêts à s'engager pour leur régularisation, soulignent plusieurs personnes sans papiers.
Le secteur du bâtiment emploie beaucoup moins de travailleurs sans papiers depuis quelques années. INTERFOTO
gnols ou portugais arrivés bien plus tôt. Ou des communautés migrantes actuelles: «Des membres influents de la communauté philippine souslouent 300 à 400 francs le lit dans un appartement de trois pièces. A raison de quatre lits par chambre, cela fait une joie somme!», dénonce Charly Hernandez, président de l'association Bagtasan, qui vise l'intégration des Philippins à Genève. Même topo chez les latinos: «Il y a même ce qu'on appelle la `cama caliente' (le lit chaud). On loue le lit à une personne la nuit et le même lit à une autre la journée, explique Henry Cardona, du Collectif des travailleuses et travailleurs sans statut légal. En Colombie, on dit que le chien ne mange pas de chien, ce n'est pas valable dans le contexte de l'immigration.» A défaut de se faire exploiter, l'on peut aussi se retrouver à la rue: «Je connais des personnes qui ont dormi une semaine sous un pont», se souvient de Guillermo Montaño, membre du comité du Centre de contact Suisses-Immigrés. L'exploitation se révèle d'autant plus aisée que le risque de dénonciation est faible. Sortir de l'ombre fait courir le risque d'un retour forcé au pays. Explosent donc aussi les cas de maltraitance, d'abus de confiance et de violences sexuelles... même si, dans la pratique, des possibilités de recourir à la justice existent. Plusieurs sans-papiers ont par exemple eu gain de cause au Tribunal des prud'hommes contre des employeurs abuseurs. Le Collectif de soutien aux personnes sans statut légal2 et les syndicats les appuient en ce sens. Mais la peur prend souvent le dessus, «la crainte du contrôle» étant une composante incontournable de la vie des personnes sans papiers. souvent niés: «Les gens doivent devenir des machines de travail parfaites. Il y a une forte peur d'être malade. Il faut supporter la souffrance. Reconnaître la maladie signifie le plus souvent perdre son travail!», explique Sofía Guaraguara, psychologue et collaboratrice aux permanence volantes de l'Entraide protestante suisse (EPER) qui sont actives auprès des sans-papiers. «Je connais une personne qui continue de travailler avec des douleurs insupportables», poursuit-elle. De cette négation résulterait une forte propension à souffrir de troubles psychiques, comme la dépression.
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