jeudi 24 mai 2007

Adem: La population de Bassins unie derrière son employé communal


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Le départ d’Adem, je le vis comme une mort!» Kurt Nulens est à Bassins depuis quelques mois seulement, mais le départ annoncé au 31 mai de l’employé communal est un choc pour lui, comme pour l’ensemble de la po­pulation du village. Sans-papiers, Adem Salihi vient de voir sa der­nière demande de permis de sé­jour refusée.
Depuis qu’il a été engagé par la commune située au-dessus de Nyon en 2001, Adem Salihi s’est imposé comme une icône villa­geoise. «S’il pouvait se présenter à la syndicature, je perdrais ma place», estime le bouillonnant syndic, Didier Lohri. «Chez moi, c’est ici à Bassins. Je suis invité à manger chez les gens tous les jours. Ils me disent qu’ils ont confiance en moi, qu’ils m’aiment», témoigne le requé­rant débouté, vêtu de son panta­lon de travail orange soutenu par une ceinture sur laquelle est des­sinée une poya.
Adem Salihi est en effet la perle rare que la commune avait cherchée si longtemps. Avant lui, plusieurs employés communaux avaient endossé son rôle quel­ques mois, sans jamais donner satisfaction. L’un avait un pen­chant pour la dive bouteille, un autre un comportement inappro­prié avec la gent féminine, un troisième ne supportait pas les travaux physiques… «Il n’y a plus personne en Suisse pour faire le sale boulot», tonne le syndic, qui voue une grande ad­miration à son protégé.
Il faut admettre que l’employé communal prend son travail à coeur, pour son plaisir, en faisant bien plus que ce que stipule son contrat. On le voit ainsi à toute heure amener du matériel pour les décors d’un spectacle, porter les courses d’une vieille dame ou encore transporter les enfants qu’il croise sur le chemin de son travail… Il n’y a pas si longtemps, l’employé communal s’est même déplacé à Nyon pour ramener une jeune fille qui l’avait appelé juste après avoir raté le dernier taxi-bus.
Le coeur sur la main
«Il ne sait pas dire non, avoue son ami Kurt Nulens. Parfois, j’ai quand même l’impression que certaines personnes abusent de ses services…» Une affirmation qui ne manque pas d’étonner le vaillant travailleur. «Il s’agit juste de petits services», s’enflamme Adem Salihi.
Car le travail est une vertu pour ce Kosovar de 42 ans, qui n’a jamais cessé de travailler de­puis son arrivée en Suisse en 1996. «C’est lui qui me téléphone pour savoir s’il peut venir tondre mon gazon», raconte même une vieille dame, toute frêle, devant l’épicerie.
Aujourd’hui la fin du règne d’Adem Salihi approche, et rares sont ceux qui s’en réjouissent. Face à la ferveur populaire pour le soutenir, les voix dissidentes sont rares. «Vous savez, ici, il est des avis qu’on préfère garder pour nous», murmure un jeune homme.
La plupart des habitants gar­dent même encore espoir qu’Adem Salihi puisse rester à Bassins. Le comité qui le soutient a placardé des affiches deman­dant à la population d’écrire au Conseil d’Etat pour qu’il re­vienne sur sa décision de ne pas réexaminer le cas de l’employé communal. «Une belle quantité de missives nous est déjà parve­nue », lâche Odile Hauser, qui souhaite encore garder la sur­prise du nombre. Les enfants de l’école du coin ont eux aussi participé à cette action.
Aide communale au retour
Face à ce baroud d’honneur, la Municipalité endosse presque le rôle de traître avec le projet d’aide à la réinsertion au Kosovo qu’elle s’apprête à soumettre au Conseil communal. «Le comité de soutien n’est pas favorable à ce plan, admet du bout des lèvres Odile Hauser. Il donne l’impres­sion que nous baissons les bras.» Pour l’Exécutif, il est temps de préparer le retour de son em­ployé. Son idée est ainsi de don­ner à Adem toutes les chances de «revenir chez lui comme un vainqueur». Une délégation fera ainsi le voyage au Kosovo dans dix jours – payé par les vacations du syndic – pour évaluer ses besoins. Ensuite, un plan d’ac­tion sera mis en place pour lui offrir un logement décent et les moyens (véhicule et matériel) de lancer sa propre société, dans une région sinistrée économi­quement. Une subvention sur quatre à cinq ans n’est pas non plus exclue. «Si le 2e pilier d’Adem ne devait pas suffire, nous demanderons un crédit au Conseil», envisage Didier Lohri.
Certes on se démène pour lui, mais Adem Salihi reste décidé: «Je respecte la Municipalité, mais ses efforts ne serviront à rien. Jamais je ne rentrerai au Kosovo où je n’ai plus rien.» Il est déprimé. Il peine à trouver le sommeil, malgré les médica­ments. A la simple évocation de l’avenir, les larmes lui montent aux yeux. «Je ne sais pas ce que je vais faire. Je ne comprends pas ce qui m’arrive», insiste-il. L’homme, cassé, est incapable de se projeter au-delà de jeudi pro­chain, le jour où il rendra sa casquette d’employé commu­nal.
Une aide municipale
La Municipalité de Bassins ne laisse pas tomber son employé communal kosovar. Pour services rendus, la Municipalité aidera Adem Salihi à se réintégrer au Kosovo. L’idée de la commune est de gérer au mieux le 2e pilier de son employé communal pour lui permettre d’avoir une habitation décente et les moyens nécessaires pour se lancer professionnellement.
L’achat d’une voiture n’est pas exclu, tout comme une aide financière à moyen terme (quatre à cinq ans). Si l’épargne de son employé ne devait pas suffire, la bourse communale pourrait être sollicitée par le biais d’un préavis d’urgence lors du prochain Conseil.
La Municipalité se rendra sur place pour évaluer la situation.
La commune se sent redevable auprès d’Adem Salihi, qu’elle a engagé en 2001. Avant cela, il était arrivé en Suisse en 1996, et n’a jamais cessé de travailler dans le monde agricole. Ce qui lui permet d’envoyer de l’argent à sa femme, de qui il serait séparé, et à ses quatre enfants qui sont restés au Kosovo.
Ses demandes d’asile, en 1996, et de permis, en 2004, n’ont abouti ni l’une ni l’autre. Et ce malgré plusieurs recours et une pétition au Grand Conseil, qui avait récolté près de 500 signatures dans un village comptant un millier d’habitants. Adem Salihi doit quitter la Suisse 31 mai.
A moins que l’intervention de Philippe Martinet ne change la donne. Le député Vert vient d’écrire au président du Grand Conseil pour lui demander d’intervenir auprès du Conseil d’Etat. Ce dernier vient de refuser de réexaminer le cas d’Adem Salihi, comme le demandait la pétition. «J’estime que notre président ne peut pas se contenter d’une simple réponse du Conseil d’Etat, car elle ne prend pas en compte la décision du Grand Conseil d’examiner plus à fond la situation d’Adem Salihi. Dans son cas, les critères d’intégration sont évidents. Il n’y a donc pas grand-chose qui empêche nos autorités de lui accorder un permis de travail. En tous les cas, si on lui accordait un permis, on ne créerait pas de nouvelle exception au droit d’asile. Je pense que sa situation mérite un examen particulier.

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