vendredi 8 septembre 2006

Pourquoi M. Blocher nie-t-il ma réalité

Le conseiller fédéral avait affirmé que les autorités suisses n’avaient commis qu’une seule erreur dans ce domaine.
Amnesty International parle de mensonge.

«M
onsieur Blocher nie ma cruelle réalité», affirme, le regard meurtri, Ramadan Ve­liù. Sur un ton très calme, cet Albanais du Kosovo, établi aujourd’hui à Kloten, raconte son histoire. En 1982, après avoir passé six mois dans les prisons yougoslaves et 18 mois dans l’il­légalité, il prend l’avion pour la Suisse où vit l’un de ses oncles. Mais très rapidement sa de­mande d’asile est refusée. Malgré les promesses de la police helvé­tique de l’expulser sur Zagreb, il se retrouve à Belgrade. Les for­ces de sécurité yougoslaves l’at­tendent. Il sera battu, menacé de mort, puis emprisonné. Après 14 mois de détention, il est con­damné à huit ans de prison: «On me reprochait d’avoir participé à des manifestations au Kosovo», raconte celui qui était encore étudiant et se battait contre les discriminations dont était déjà victime la minorité albanaise. En 1996, Ramadan Veliù revient en Suisse et dépose une nouvelle demande d’asile. Soutenu par Amnesty International, il obtient cette fois-ci le statut de réfugié.
Marqué physiquement et psy­chiquement par les années pas­sées dans les geôles yougoslaves, il se dit très touché par les pro­pos de Christoph Blocher ayant déclaré que la Suisse s’était trompée une seule fois dans le domaine d’asile: «Il ment, c’est clair, puisque je suis le deuxième cas et qu’il y en a certainement d’autres». «Oui, il y en a d’autres», a insisté hier Denise Graf, coordinatrice asile à la Sec­tion
suisse d’Amnesty Internatio­nal
L’Office des migrations rejette les accusations

L’organisation de défense des droits humains a ainsi docu­menté neuf cas de personnes arrêtées après leur expulsion de Suisse. Un Birman, deux Alba­nais du Kosovo, quatre Kurdes de Turquie, un Yéménite et un Syrien figurent sur cette liste. Parmi eux, cinq ont finalement obtenu l’asile ici grâce à l’inter­vention de nombreuses organi­sations. L’un s’est suicidé. Quant à Stanley Van Tha, il a été con­damné en 2004 à 19 ans de prison par la junte de Rangoon.
C’est d’ailleurs lui qui est consi­déré par Christoph Blocher comme la «seule erreur».
Amnesty International a en­core connaissance d’une dizaine d’autres cas, notamment en Ré­publique démocratique du Congo, au Sri Lanka et en Libye. Se basant sur ces nombreux exemples, l’organisation de dé­fense des droits humains a donc dénoncé hier «les mensonges des partisans de la Loi sur l’asile». Denise Graf a aussi af­firmé que si ce texte était adopté, le 24 septembre, de tel­les erreurs se multiplieraient: «Chaque année, nous interve­nons dans une cinquantaine de cas et dans 80% des cas notre
intervention donne lieu à une révision de la décision. Mais avec la nouvelle loi, la procédure sera tellement expéditive que nous n’aurons plus le temps d’intervenir», a expliqué la coor­dinatrice asile d’Amnesty.
Du côté de l’Office fédéral des migrations, on affirme disposer de peu d’informations sur la pre­mière demande de Ramadan Ve­liù car elle est très ancienne. Toutefois, selon son porte-parole Dominique Boillat, il n’aurait alors pas fait valoir de persécu­tion. Plus globalement, l’ODM a rejeté hier soir dans un bref communiqué les «accusations d’Amnesty International»


Vincent Bourquin, Berne, dans 24 Heures

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