Jean-Claude Métraux
«Toute politique d’intégration nécessite des lois insufflant parmi les uns et les autres un sentiment de sécurité. Celles prochainement votées auraient l’effet diamétralement opposé»
Si les nouvelles lois sur l’asile et les étrangers, soumises à référendum, font couler beaucoup d’encre, leur usage saugrenu du vocabulaire de la souffrance, leur viol de la douleur humaine, demeurent méconnus.
Ainsi, les critères proposés pour la reconnaissance d’une détresse personnelle grave et l’admission pour raisons humanitaires incluent, curieux amalgame, la maîtrise de la langue locale et l’autonomie financière. Or - chacun le sait - la dépression épuise l’énergie vitale, requise par l’étude d’une langue ou un emploi. La traque obsessive des abus autoriserait-elle les abus de langage? Pareille dérive alarme le psychiatre.
Dans son chapitre consacré à l’intégration, la loi proposée qualifie d’indispensable l’apprentissage d’une langue nationale. Mais celui-ci, à l’âge adulte, requiert la capacité de se projeter dans le futur: si j’ouvre pour la première fois un manuel d’arabe, je sais qu’il m’en coûtera des années. Or la projection dans l’avenir est conditionnée par un sentiment de sécurité: si je vis jour après jour avec la crainte d’un renvoi et de mesures de contrainte, ou simplement dans un éternel provisoire (1), je me concentre sur les nécessités du présent et ne peux me lancer dans une entreprise de longue durée. Ma pratique thérapeutique avec des migrants au statut précaire ne cesse de me le prouver: ainsi, les décisions de non entrée en matière, condamnation à une survie au jour le jour, obstruent l’espace mental nécessaire à la construction d’un quelconque projet de retour. Le sentiment d’insécurité engendre en outre un repli sur soi: pour les autochtones, la peur de l’étranger; pour les migrants, l’incapacité de se familiariser avec la société suisse. Bref, toute politique d’intégration nécessite des lois insufflant parmi les uns et les autres un sentiment de sécurité. Celles prochainement votées auraient l’effet diamétralement opposé.
Le pédopsychiatre relève aussi d’énormes risques pour la santé psychique des enfants et adolescents. Citons en vrac: les entraves au regroupement familial, particulièrement - distinction absurde – pour les enfants de plus de 12 ans; le retrait de la paternité à un enfant issu d’un mariage jugé de complaisance, comme si la naissance d’un bébé n’assortissait pas toute éventuelle complaisance passée d’obligations parentales censées durer la vie entière; l’absence de toute considération pour les enfants sans papiers; les mesures presque similaires pour les mineurs dits non accompagnés et les demandeurs d’asile adultes, y compris l’application de mesures de contrainte; l’exclusion de l’aide sociale lorsque l’asile est refusé aux parents; les fouilles des logements privés sans mandat judiciaire qui susciteront craintes et même traumatismes chez les enfants recroquevillés dans un coin de leur chambre. Ces lois, au-delà de leur incompatibilité avec la Convention internationale relative aux droits de l’enfant - par contre invoquée pour retirer un enfant corporellement châtié à des parents en détresse pour cause d’extrême précarité - , abattraient les tuteurs nécessaires au développement harmonieux des jeunes. S’élèveraient les risques d’échec scolaires, de troubles psychiques, de perturbations du lien social, de problèmes de comportement. S’étonnera-t-on ensuite que la violence hante les cours de nos écoles? Sans doute stigmatiserons- nous les jeunes étrangers qui en seront les auteurs, sans nous apercevoir qu’en votant ces lois nous en aurons été les clandestins instigateurs.
(1) J’ai rencontré hier à ma consultation une patiente du Kosovo en Suisse depuis seize ans et toujours au «bénéfice» d’une admission provisoire.
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