Un article de Didier Estoppey dans le Courrier
PORTRAIT (III) - Mamadou Daffé ne doit la vie qu'au fait d'avoir sauté par la fenêtre au bon moment, puis fui la Guinée. Pour s'exiler dans un pays dont il ignorait tout, et qui n'a aucun avenir à lui proposer. «Le mot asile, c'est en arrivant ici que je l'ai entendu pour la première fois. Je ne savais pas ce que cela voulait dire.» Mamadou Daffé séjourne en Suisse depuis un peu plus de trois ans. Assez longtemps pour apprendre quantité de choses. Dont la signification d'un autre terme que ce jeune Guinéen de 22 ans n'avait jamais entendu non plus avant de quitter l'Afrique: «débouté». Car tel est son statut depuis le rejet de sa demande d'asile. Un statut qui l'expose, à tout moment, à un possible renvoi forcé vers son pays, et contre lequel il a bien tenté de recourir. «Mais on m'a demandé une avance de 600 francs pour les frais. Comme je ne savais où les trouver, la commission de recours a refusé de statuer.»
Le jeune homme présente pourtant le profil type du «vrai réfugié». Il raconte pudiquement que son père, un riche homme d'affaires, a rencontré des «problèmes» pour avoir voulu se mêler de politique au pays du lieutenant-colonel Lansana Conté, qui continue à se cramponner à un pouvoir dont il s'est emparé il y a plus de vingt ans, après la mort d'un autre dictateur, Sékou Touré. «Je rentrais d'un anniversaire. Mon père m'a expliqué qu'on l'accusait d'avoir diffamé le président durant la campagne électorale. Peu après, des hommes armés sont arrivés devant notre maison.»
Il faut du temps pour que Mamadou, de la voix calme de celui qui égrène une fatalité, finisse par dire l'indicible. Il n'a jamais revu son père, retrouvé mort dans sa maison. Lui a réussi à prendre la fuite par une fenêtre. Puis, après s'être planqué chez un ami, à gagner le port de Conakry, d'où il a pu embarquer clandestinement pour l'Italie.
Débouté dès Vallorbe
De là, des amis l'ont remis à un passeur qui l'a emmené à Neuchâtel. «On m'a dit qu'on allait me conduire là où l'on demande l'asile. Je n'avais jamais quitté mon pays, et je ne savais même pas qu'il y avait une frontière entre l'Italie et la Suisse», raconte le jeune homme, qui était alors âgé d'à peine dix-huit ans. A Neuchâtel, il est recueilli par des policiers qui le conduisent au Centre d'enregistrement de Vallorbe. Le fait de ne pas avoir de papiers d'identité –«en Guinée, il ne viendrait à personne l'idée d'en demander si l'on ne voyage pas à l'étranger»– ne lui vaut pas les ennuis promis par la nouvelle loi soumise à votation le 24 septembre. Personne ne prend même la peine de mettre en doute son récit. «On m'a simplement dit que c'était mon père qui était une victime du régime, pas moi...»
Mamadou a beau avoir perdu aussi sa mère, puis sa soeur aînée, tuée par une balle perdue lors d'un voyage chez sa tante en Côte d'Ivoire, il est débouté dès ses premières auditions à Vallorbe. Il n'en est pas moins attribué au canton de Genève, le temps d'un éventuel recours, et trouve rapidement du travail comme garçon d'office dans un grand hôtel. Puis le perd après un an, lors d'une vague de licenciements. Au chômage, le jeune homme entreprend une formation. Pour découvrir l'univers kafkaïen de la législation sur l'asile: «Comme j'avais épuisé mes délais de recours, le canton a levé l'autorisation de travail. Je n'avais plus droit aux indemnités chômage. Ni celui de compléter la formation que j'avais entreprise...»
Tordre le cou aux préjugés
Aujourd'hui, Mamadou travaille sur la plaine de Plainpalais. Il met des vélos à disposition du public pour «Genève roule». Parallèlement, il assure la trésorerie d'une petite association fondée il y a un an pour favoriser les échanges entre les requérants et le voisinage. Et pour lutter contre les préjugés: «Quand les gens découvrent qui nous sommes, quel est notre parcours, ils changent de regard sur les demandeurs d'asile.» Le jeune requérant ne ressent d'ailleurs pas le racisme au quotidien dont se plaignent parfois les Noirs à Genève. «Je n'ai jamais subi un seul contrôle policier.»
En revanche, il est choqué par l'image de sa communauté que véhiculent les médias. Avec son modeste pécule de 426francs par mois (auxquels s'ajoutent trois francs par heure de travail), il n'a pas l'impression d'abuser. «En Guinée, j'avais une vie matérielle mille fois meilleure qu'ici. Et même un chauffeur pour me conduire au lycée. Nous, requérants, profitons peut-être ici de la liberté. Mais en tout cas pas de l'argent.» Mamadou peine d'ailleurs à comprendre pourquoi la question des requérants d'asile, qui forment un très faible pourcentage de la population étrangère en Suisse, est perçue comme un problème aussi important. «En Guinée, l'un des pays les plus pauvres d'Afrique, nous avons plus de 5millions de réfugiés à cause des guerres chez nos voisins. Jamais on n'a débattu de cette situation, il ne viendrait à l'idée de personne de refuser de les accueillir.»
Cauchemars
La votation du 24septembre? Le jeune homme est parfaitement informé de son enjeu. Il sait notamment qu'en cas d'acceptation de la nouvelle loi sur l'asile, l'aide sociale lui sera coupée et il sera chassé de son logement en foyer pour être mis au même régime que les requérants frappés de non entrée en matière (NEM). Il n'ose pas imaginer comment il s'en sortira. «Nous n'avons pas le choix. Ce n'est pas nous qui décidons...» Une chose est sûre: jamais Mamadou ne se résoudra à vivre de la vente de drogue. «Mais je comprends les dealers. Certains n'ont vraiment pas d'autres choix. J'ai beaucoup d'amis NEM, ça fait vraiment pitié. C'est triste de voir un pays réputé comme la Suisse abandonner les gens dans une telle m...»
L'avenir? Le jeune homme, qui, il y a moins de quatre ans, pensait partir étudier aux Etats-Unis pour revenir au pays comme médecin, peine à formuler des projets. «Rentrer en Guinée est exclu pour l'instant. Je fais des cauchemars toutes les nuits à l'idée d'y être renvoyé. La situation qui y règne est pire que la guerre. Des quartiers entiers sont saccagés à la moindre critique contre le président. Et si une personne est sur liste noire, c'est toute sa famille qui trinque avec lui.» Mamadou n'en espère pas moins un changement. Ou une solution qui l'aiderait à gagner un autre pays africain. «Ici, ma situation n'est pas vivable. Je ne peux ni travailler, ni étudier. Tout ce que tu demandes, on te le refuse.»
Le jeune homme présente pourtant le profil type du «vrai réfugié». Il raconte pudiquement que son père, un riche homme d'affaires, a rencontré des «problèmes» pour avoir voulu se mêler de politique au pays du lieutenant-colonel Lansana Conté, qui continue à se cramponner à un pouvoir dont il s'est emparé il y a plus de vingt ans, après la mort d'un autre dictateur, Sékou Touré. «Je rentrais d'un anniversaire. Mon père m'a expliqué qu'on l'accusait d'avoir diffamé le président durant la campagne électorale. Peu après, des hommes armés sont arrivés devant notre maison.»
Il faut du temps pour que Mamadou, de la voix calme de celui qui égrène une fatalité, finisse par dire l'indicible. Il n'a jamais revu son père, retrouvé mort dans sa maison. Lui a réussi à prendre la fuite par une fenêtre. Puis, après s'être planqué chez un ami, à gagner le port de Conakry, d'où il a pu embarquer clandestinement pour l'Italie.
Débouté dès Vallorbe
De là, des amis l'ont remis à un passeur qui l'a emmené à Neuchâtel. «On m'a dit qu'on allait me conduire là où l'on demande l'asile. Je n'avais jamais quitté mon pays, et je ne savais même pas qu'il y avait une frontière entre l'Italie et la Suisse», raconte le jeune homme, qui était alors âgé d'à peine dix-huit ans. A Neuchâtel, il est recueilli par des policiers qui le conduisent au Centre d'enregistrement de Vallorbe. Le fait de ne pas avoir de papiers d'identité –«en Guinée, il ne viendrait à personne l'idée d'en demander si l'on ne voyage pas à l'étranger»– ne lui vaut pas les ennuis promis par la nouvelle loi soumise à votation le 24 septembre. Personne ne prend même la peine de mettre en doute son récit. «On m'a simplement dit que c'était mon père qui était une victime du régime, pas moi...»
Mamadou a beau avoir perdu aussi sa mère, puis sa soeur aînée, tuée par une balle perdue lors d'un voyage chez sa tante en Côte d'Ivoire, il est débouté dès ses premières auditions à Vallorbe. Il n'en est pas moins attribué au canton de Genève, le temps d'un éventuel recours, et trouve rapidement du travail comme garçon d'office dans un grand hôtel. Puis le perd après un an, lors d'une vague de licenciements. Au chômage, le jeune homme entreprend une formation. Pour découvrir l'univers kafkaïen de la législation sur l'asile: «Comme j'avais épuisé mes délais de recours, le canton a levé l'autorisation de travail. Je n'avais plus droit aux indemnités chômage. Ni celui de compléter la formation que j'avais entreprise...»
Tordre le cou aux préjugés
Aujourd'hui, Mamadou travaille sur la plaine de Plainpalais. Il met des vélos à disposition du public pour «Genève roule». Parallèlement, il assure la trésorerie d'une petite association fondée il y a un an pour favoriser les échanges entre les requérants et le voisinage. Et pour lutter contre les préjugés: «Quand les gens découvrent qui nous sommes, quel est notre parcours, ils changent de regard sur les demandeurs d'asile.» Le jeune requérant ne ressent d'ailleurs pas le racisme au quotidien dont se plaignent parfois les Noirs à Genève. «Je n'ai jamais subi un seul contrôle policier.»
En revanche, il est choqué par l'image de sa communauté que véhiculent les médias. Avec son modeste pécule de 426francs par mois (auxquels s'ajoutent trois francs par heure de travail), il n'a pas l'impression d'abuser. «En Guinée, j'avais une vie matérielle mille fois meilleure qu'ici. Et même un chauffeur pour me conduire au lycée. Nous, requérants, profitons peut-être ici de la liberté. Mais en tout cas pas de l'argent.» Mamadou peine d'ailleurs à comprendre pourquoi la question des requérants d'asile, qui forment un très faible pourcentage de la population étrangère en Suisse, est perçue comme un problème aussi important. «En Guinée, l'un des pays les plus pauvres d'Afrique, nous avons plus de 5millions de réfugiés à cause des guerres chez nos voisins. Jamais on n'a débattu de cette situation, il ne viendrait à l'idée de personne de refuser de les accueillir.»
Cauchemars
La votation du 24septembre? Le jeune homme est parfaitement informé de son enjeu. Il sait notamment qu'en cas d'acceptation de la nouvelle loi sur l'asile, l'aide sociale lui sera coupée et il sera chassé de son logement en foyer pour être mis au même régime que les requérants frappés de non entrée en matière (NEM). Il n'ose pas imaginer comment il s'en sortira. «Nous n'avons pas le choix. Ce n'est pas nous qui décidons...» Une chose est sûre: jamais Mamadou ne se résoudra à vivre de la vente de drogue. «Mais je comprends les dealers. Certains n'ont vraiment pas d'autres choix. J'ai beaucoup d'amis NEM, ça fait vraiment pitié. C'est triste de voir un pays réputé comme la Suisse abandonner les gens dans une telle m...»
L'avenir? Le jeune homme, qui, il y a moins de quatre ans, pensait partir étudier aux Etats-Unis pour revenir au pays comme médecin, peine à formuler des projets. «Rentrer en Guinée est exclu pour l'instant. Je fais des cauchemars toutes les nuits à l'idée d'y être renvoyé. La situation qui y règne est pire que la guerre. Des quartiers entiers sont saccagés à la moindre critique contre le président. Et si une personne est sur liste noire, c'est toute sa famille qui trinque avec lui.» Mamadou n'en espère pas moins un changement. Ou une solution qui l'aiderait à gagner un autre pays africain. «Ici, ma situation n'est pas vivable. Je ne peux ni travailler, ni étudier. Tout ce que tu demandes, on te le refuse.»
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