«Sinon, nous finirons un jour par payer des étrangers pour qu’ils viennent en Suisse rajeunir notre démographie…»
A quelques mois du scrutin à propos de la nouvelle loi plus sévère sur les étrangers, nous serions bien avisés, en Suisse, de réfléchir une fois encore, posément, à l’importance de l’immigration pour la bonne vie que nous menons dans ce pays. Une enquête de notre excellent confrère britannique «The Economist » (17 juin 2006), consacrée pour l’essentiel à l’immigration latino-américaine aux Etats Unis, me semble proposer à une telle réflexion un schéma de bonne venue.
Même si les Etats-Unis, à la différence de la Suisse, se disent officiellement «pays d’immigration », en pratique, dans la vie quotidienne, une bonne partie des populations nationales des deux pays manifeste aujourd’hui le même genre de réactions, je caricature à peine: «Ouais, ces étrangers il y en a trop, ils nous envahissent, ils sont incapables de s’assimiler vraiment, ils essaient de nous convertir à leurs religions et à leurs moeurs, ils mettent en péril notre identité et notre culture, ils nous tondent pas mal d’emplois sur le dos, ils abusent de nos systèmes sociaux, médicaux et éducatifs, ils nous coûtent un saladier; bref, on ferait oeuvre de salubrité publique en en renvoyant une bonne partie chez eux.» C’est à ce point du discours que «The Economist» commence son enquête, pour vérifier, à la fois sur le terrain avec des exemples vécus, et au travers d’études chiffrées, le bienfondé ou le mal-fondé de trois accusations types.
La première accusation a deux faces: les immigrés latinos, disent volontiers les gens outre-Atlantique, sont trop mal éduqués pour pouvoir s’intégrer efficacement dans la société américaine, et sont donc condamnés éternellement (petite larme versée!) à survivre de jobs médiocres payés en dessous de tous les SMIC du coin. Or l’enquête de terrain de «The Economist» prouve le contraire. Elle évoque par exemple le cas de tel immigrant mexicain entré illégalement aux Etats-Unis il y a douze ans, qui a commencé par travailler dans une teinturerie chinoise de Los Angeles pour 2.50 $ de l’heure, puis est allé ramasser des myrtilles en Caroline du Nord pour 5 $ de l’heure, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il puisse s’acheter une maison au Mexique et un restaurant aux Etats-Unis mêmes.
La seconde accusation est qu’«ils nous coûtent cher». La revue britannique cite à ce propos une étude de l’Université de Caroline du Nord portant sur cet Etat particulier: les immigrés latinos y paient 756 millions de dollars d’impôts, alors qu’ils coûtent à la collectivité 817 millions de dollars – soit, pour l’Etat, un coût net de 102 dollars par Latino. Oui, mais en 2004, les mêmes Latinos ont dépensé dans cette même Caroline du Nord 9.19 milliards de dollars, qui ont permis de créer quelque 90 000 emplois nouveaux… La troisième accusation est que les immigrés latinos tendent à niveler par le bas le niveau culturel des Etats-Unis. Or, lorsque l’on considère la succession des générations, on voit au contraire que chaque génération immigrée nouvelle se fait littéralement un point d’honneur de gravir un ou plusieurs échelons de l’échelle de la formation, si possible jusqu’à ce que le petit-fils obtienne un MBA de Stanford, pas moins!
Les immigrés et les enfants d’immigrés doivent se battre dix fois plus que les nationaux, déployer dix fois plus d’énergie, d’imagination et d’ingéniosité… Et nous serions assez fous pour leur mettre les bâtons dans les roues et nous priver de leur force inouïe? A ce train, nous finirons un jour par payer des étrangers pour qu’ils viennent en Suisse rajeunir notre démographie!
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