Le parlement va durcir la loi. Les requérants érythréens, mal intégrés en Suisse, seront-ils moins nombreux à venir?
La Suisse cherche à endiguer le flot d’Erythréens qui demandent l’asile politique en Suisse. Après le Conseil des Etats, le Conseil national s’apprête à serrer la vis en juin. Sa Commission des institutions politiques vient de voter à une large majorité la suppression de la qualité de déserteur pour réclamer l’asile. Or ce motif est invoqué actuellement par les deux tiers des Erythréens.
Pour bien comprendre le problème, il faut remonter à l’année 2005. C’est à cette date que le Tribunal fédéral reconnaît la désertion, assimilée à l’opposition à un régime, comme un motif valable pour l’asile. Dès lors, le nombre de requérants en provenance de l’Erythrée va exploser. Il passe de 200 en 2005 à plus de 1000 en 2006. L’an passé, on a franchi le cap des 3000 demandes par année et au premier trimestre 2012, on enregistre déjà une augmentation de 41% par rapport à 2011 (1151 demandes au 31 mars). Ce qui place les Erythréens au premier rang des groupes de requérants, loin devant les autres.
Avec le durcissement de la loi, le nombre de demandes va-t-il dès lors diminuer? La question est âprement débattue. Car les déserteurs érythréens peuvent continuer à venir en Suisse. S’ils ne sont plus reconnus comme réfugiés, ils pourront néanmoins bénéficier d’une admission provisoire en raison de la poursuite de la guerre entre leur pays et l’Ethiopie.
Aide sociale diminuée
Alors cette loi est-elle un coup d’épée dans l’eau, n’y aura-t-il aucune diminution du flot de requérants? Non, estime Heinz Brand (UDC/GR), spécialisé dans la problématique de l’asile, qui déplore au passage le temps perdu par Eveline Widmer-Schlumpf sur ce dossier. «Certes, la baisse des requérants érythréens ne va pas se faire du jour au lendemain. Mais elle sera là, car les conditions changent. Le déserteur ne sera plus au bénéfice d’un statut de luxe de réfugié. L’aide sociale va diminuer et le regroupement familial ne sera plus autorisé.»
A gauche au contraire, on estime que cette précarisation n’entraînera pas de diminution du nombre d’Erythréens. Ueli Leuenberger (Vert/GE), président de la Commission des institutions du National, mais qui, ici, s’exprime à titre individuel, explique: «C’est le phénomène qu’on a connu pour le Kosovo. Les gens, indépendamment de leur statut, viennent se réfugier où ils ont de la famille. Les Erythréens vont donc continuer à arriver mais l’admission provisoire va rendre leur intégration encore plus difficile.»
Qu’en pense l’Office des migrations (ODM), qui est aux premières loges? Eh bien, on ne se mouille pas. «Il est difficile de dire si le nombre d’Erythréens va baisser après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi. Car aujourd’hui déjà, nous n’accordons pas l’asile au seul motif de désertion», répond le porte-parole Michael Glauser. «Ce qui est sûr, c’est que les déserteurs érythréens vont continuer de bénéficier de l’admission provisoire car ils risquent leur peau si on les renvoie dans leur pays. Actuellement 60% à 70% de cette communauté bénéficient d’un statut de réfugié, ce qui est très élevé. Mais impossible aussi de dire si cette proportion va diminuer à l’avenir au profit de l’admission provisoire.»
Mauvaise intégration
Indépendamment de leur nombre élevé, un autre problème se pose avec les requérants érythréens: leur intégration. Pour Heinz Brand, elle est très mauvaise car ces gens vivent en clans et ne subviennent pas à leurs besoins en Suisse. Michael Glauser juge effectivement que les Erythréens sont en général mal intégrés. «Ils ne parlent pas de langue nationale, bredouillent quelques mots d’anglais, ont un niveau d’éducation faible, ce qui les coupe du marché de l’emploi. Plus de 90% d’entre eux dépendent donc de l’aide sociale.»
Ueli Leuenberger, lui, ne s’inquiète pas et prend les choses avec recul. «Que n’a-t-on pas dit quand les Tamouls sont arrivés en Suisse! Qu’ils n’allaient jamais s’intégrer. Or aujourd’hui, les patrons les considèrent comme des travailleurs modèles de par leur gentillesse et leur efficacité . »
Arthur Grosjean, Berne, dans 24 Heures
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