mardi 1 novembre 2011

«Même si on enlève sabots et foulards,les gens flairent que l’on est différent»

La hausse spectaculaire des cambriolages à Genève et Vaud est souvent imputée aux gens du voyage de France voisine. Rencontre avec cette communauté appauvrie par la crise.

Un bout de terrain à l’entrée du village médiéval d’Yvoire. La famille de Marcelle, des Tziganes, a posé là ses caravanes depuis plusieurs décennies. La parcelle agricole à l’époque ne coûtait pas cher. Le grand-père a acheté. Pas de toilettes, pas d’eau, la famille se débrouille. «Mais on paie les impôts locaux», lance Marcelle. Sa maman a grandi dans le milieu du cirque. Son papa faisait les fêtes foraines. Des gens du voyage aujourd’hui semi-sédentarisés mais qui ont gardé «l’âme errante».

Marcelle semble attendre la «fameuse» question: sommes-nous des voleurs? Elle est au courant des accusations suisses qui ces derniers mois – encore plus que dans le passé – pèsent contre les Tziganes. Vingt à trente cambriolages chaque jour dans le canton de Genève. On dépasse parfois les 40.

La hausse est constante depuis trois ans. Le quotidien 24 heures rapportait récemment qu’entre le 5 et le 12 septembre la police faisait état de 90 nouveaux cambriolages dans le canton de Vaud, dont 30 à Lausanne, contre respectivement 57 et 17 en 2010. Le gang dit «des Géorgiens» partiellement démantelé en 2009 à Genève semble s’être remis au travail; des Maghrébins tenteraient également de s’implanter sur ce réseau. Mais les gens du voyage seraient les plus actifs.

Jean-François Cintas, un policier genevois en charge de la Brigade des cambriolages, confiait au Temps du 25 juin que le facteur le plus important était l’augmentation du prix de l’or. La spécialité, affirme-t-il, des gens du voyage. «Dans n’importe quel appartement, on trouve 25 à 30 grammes d’or sous forme de chaînettes, gourmettes ou autres. Les Tziganes trient tout sur place. Même les enfants savent le faire», expliquait le policier. Les auteurs viendraient de Haute-Savoie, mais aussi de Lyon, Grenoble voire Paris.

Marcelle sourit et se dit «tellement habituée à tout cela». Elle affirme qu’il n’est pas besoin d’aller jusqu’en Suisse pour être accusé «de tout et n’importe quoi». «Quand il y a un vol dans le coin, la police vient systématiquement chez nous, elle nous interroge, elle fait des recherches d’ADN», dit-elle.

Arrive Marvin, l’un de ses enfants. Il a 22 ans, travaille dans le rempaillage et le ferraillage, «comme le papa». Il raconte les bagarres de jadis dans les cours de récréation à cause du mot manouche et de l’adjectif insultant qui va avec. Il raconte aussi ce récent larcin dans une entreprise dans laquelle il a brièvement travaillé: «La première personne interrogée c’était moi, trois années après! Je suis allé voir mon ancien patron pour lui demander pourquoi il avait donné mon nom, moi qui ne lui ai jamais causé de problème. Il n’était pas fier.»

Marcelle dit qu’elle est suivie dans les magasins, que tout cela ne change pas. «Mon père nous a appris à nous comporter mieux que les autres, à enlever les sabots et les foulards, mais les gens flairent que l’on est différent.»

Jean-Marc Bouvet, chef de service pour le secteur gens du voyage à l’Alap, association qui défend leurs droits en partenariat avec la Préfecture de Haute-Savoie, n’observe pas d’augmentation des délits mais retient que le département est celui qui, en France, draine le plus de gens du voyage après la région parisienne. «La Haute-Savoie est riche, son économie est dynamique avec les marchés et les foires qui attirent les commerçants ambulants, et puis il y a la Suisse tout à côté», argue-t-il.

Ceci expliquerait-il cela? «Il y a des brebis galeuses dans chaque communauté, tempère un policier annécien, une minorité est impliquée dans les délits, moins de 10%.»

Déléguée nationale à l’Union française des associations tsiganes (UFAT), Francine Schutt-Jacob raconte: «Nos parents qui faisaient les marchés se fournissaient dans les usines du nord. Aujourd’hui, tout le monde passe par des grossistes car tout est fabriqué en Chine, cela revient beaucoup plus cher.»

Jean-Marc Bouvet enchaîne: «Cette population est fortement précarisée, beaucoup travaillaient par exemple dans le décolletage dans la vallée de l’Arve, secteur qui a subi de plein fouet la crise, ils ont été souvent les premiers licenciés.»

Francine Schutt-Jacob arpente le département à la rencontre des familles confrontées à des difficultés d’autorité. Elle mise sur la culture traditionnelle pour mieux encadrer les jeunes et n’omet jamais de rappeler certains acquis comme la loi Besson du 5 juillet 2000, qui oblige les communes françaises de plus de 5000 habitants à mettre à la disposition des gens du voyage des aires d’accueil.

«C’est une avancée, même si souvent l’eau et l’électricité sont coupées à l’approche de l’hiver, ce qui oblige les familles à errer ou fuir vers le sud de la France», indique-t-elle. La déléguée de l’UFAT conteste l’appellation administrative «gens du voyage» qui mêle les Roms français, les Roms venus d’Europe de l’Est, les Sintés, les Yéniches, Gitans «et qui crée des amalgames»: «Nous sommes essentiellement des Français qui depuis 1912 devons faire signer tous les trois mois nos carnets de circulation dans les gendarmeries.»

L’UFAT réclame l’abrogation de ce carnet «pour rétablir une vraie citoyenneté». La lutte contre la délinquance passerait aussi par là. Pas facile de dire cela à Elvire, qui vit dans sa vieille caravane à Anthy, près de Thonon. Des inscriptions racistes ont été écrites sur la route près du campement, elle parle de jets de pierres la nuit, et le maire veut la reloger à Evian.

«Mes grands-parents sont enterrés ici et on veut nous installer dans un cimetière, je suis allée et j’ai vu, c’est comme un camp de concentration, avec des barbelés, vous savez ce que ce que les camps de concentration nous rappellent à nous Tziganes? Allez après cela dire à nos hommes de ne pas faire des c…».

Christian Lecomte dans le Temps

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