vendredi 16 septembre 2011

Les vols spéciaux sur la sellette

Laurent Krügel, Mario Annoni et Jean-Pierre Restellini évoquent leur fonction d’observateur spécial lors des renvois forcés. Regards croisés sur fond de polémique.

La fonction d’observateur sur les vols spéciaux qui rapatrient les demandeurs d’asile déboutés n’a rien d’une sinécure. Dans le jargon de l’Office fédéral des migrations (ODM), les vols spéciaux dits «de niveau 4» signifient que les personnes renvoyées sont totalement entravées, parfois casquées, muselées, assises sur une chaise roulante pour être conduites jusqu’à l’avion. «Je m’attendais à une atmosphère lourde et c’est un euphémisme», lâche tout de go Jean-Pierre Restellini, président de la Commission nationale de prévention de la torture (CNPT) et observateur à deux reprises récemment. «Ces vols de degré 4 sont difficilement supportables. Des gens hurlent, se débattent pendant des heures. Notre commission a effectué l’observation de sept de ces opérations ces douze derniers mois. Pour quelqu’un qui n’a pas l’expérience de ce genre de situation, cela peut provoquer des émotions très fortes.»

Cinq observateurs
En juin dernier, la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS) a accepté le mandat d’assurer le contrôle de ces renvois pour une période pilote de six mois. Cinq observateurs ont été choisis. Parmi eux et aux côtés de Mario Annoni et Laurent Krügel, l’ancien directeur de l’établissement pénitentiaire de Wauwilermoos (LU), une professeure de droit et l’ancienne directrice de la police et des affaires militaires du canton de Berne. «Ces personnes ont été sélectionnées et engagées d’entente entre l’ODM, la FEPS et l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR)», indique un communiqué de l’ODM. Mais aucune d’entre elles n’a l’expérience pratique de ces rapatriements forcés. Rencontré à Lausanne une semaine avant son premier vol, Laurent Krügel confie s’attendre à des moments difficiles, puisque l’exercice même de ce mandat consiste à observer l’opération depuis le moment «où l’on peut surprendre quelqu’un brutalement au réveil jusqu’à son arrivée dans son pays d’origine». Mais ces renvois comportent «une couche légale et administrative dont on ne peut faire l’économie», estime-t-il.
«Il faut appliquer les décisions prises par la population, lui fait écho Mario Annoni. Il en va de la crédibilité de l’Etat. Les demandeurs d’asile déboutés sont des êtres humains qui ont souvent une biographie très difficile, qui ont connu des guerres, une misère sociale, certes, mais qui ne remplissent pas les conditions que la Suisse s’est fixée pour les accueillir en tant que réfugiés ou dans le cadre du regroupement familial, donc on les refoule.»

Droits humains et dignité en question
S’il mentionne avoir déjà assisté à Genève à un refoulement depuis le centre de détention jusqu’au tarmac, le président de Pro Helvetia précise que son rôle consiste à observer le «comment» et non le «pourquoi» de ces opérations qui doivent rester «conformes aux droits de l’homme» et s’effectuer «dans le respect de la dignité des personnes concernées».
Dignité. Un mot qui semble élastique et qui divise d’ailleurs fortement la population sur ce dossier précis. Depuis que la FEPS a été mandatée pour effectuer ce monitoring, la CNPT s’est mise en retrait. «Mais nous restons en contact étroit pour que le travail d’observation évite les traitements inhumains ou dégradants», indique Jean-Pierre Restellini. Tout en ajoutant que la frontière entre ce qui est humain ou non, dégradant ou non, est difficile à établir : « Il y a plus de dix ans, le responsable de l’aéroport de Zurich avait dit qu’un vol de degré 4 était toujours inhumain et dégradant», commente notre homme, en ajoutant être préoccupé au plus haut point d’une chose: faire en sorte que la catastrophe de 2010, soit le décès d’un jeune Nigérian au cours d’un de ces vols, ne se reproduise pas. «Il y a des mesures à prendre d’urgence pour que les personnes placées dans cette situation de stress majeur puissent le supporter. Il faut donc notamment qu’un médecin puisse s’exprimer sur l’état de santé des personnes que l’on rapatrie.»

Gabrielle Desarzens dans le Courrier

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En 2010, 5699 personnes ont été renvoyées par avion, dont 136 sous contrainte, sur 27 vols spéciaux.
De janvier à juin 2011, 76 ont été renvoyées de force.

L’émission Hautes Fréquences de dimanche 18 traite de ce dossier à 20h sur RSR La Première.

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