Les critiques pleuvent au lendemain de la suspension par la France des trains entre Vintimille et Menton pour empêcher une manifestation de soutien aux migrants. Rome est ulcérée par la décision et les adversaires de Sarkozy montent au créneau.
Claude Guéant a envoyé le signal à Rome dès hier matin. Paris ne souhaite pas que les rapports franco-italiens s'enveniment. «Nous travaillons naturellement avec l'Italie [...] pour trouver des solutions durables, conformes au droit et à la dignité des personnes, aux tensions migratoires» actuelles, a assuré le ministre de l'Intérieur.Cette annonce intervient au lendemain de la décision spectaculaire - et rarissime - de la préfecture des Alpes maritimes d'interrompre pendant six heures le trafic ferroviaire entre Vintimille et Menton, afin d'éviter l'arrivée en France du «train de la dignité» transportant des Tunisiens et les activistes les soutenant. Les migrants qui, dimanche, avaient été empêchés par les CRS d'accéder au territoire français étaient porteurs de ces permis de séjour provisoires, valables six mois, que Rome a délivrés à 20 000 Tunisiens arrivés à Lampedusa.
Passeport pas suffisant
Pour l'Italie, ces permis auraient dû leur permettre de circuler librement dans toute l'Europe, et donc en France y compris. Mais à Paris, où l'on assurait lundi faire «une application à la lettre et dans l'esprit des accords» de Schengen, l'on exige des intéressés, outre un permis, un passeport et des ressources financières suffisantes.Pour la Commission européenne, la France avait effectivement «le droit» d'agir de la sorte, la veille. N'en déplaise à la presse italienne qui, lundi matin, vouait aux gémonies la décision hexagonale, renvoyant dos à dos «deux populismes qui s'affrontent»: les majorités Berlusconi et Sarkozy. N'en déplaise aussi au chef de la diplomatie italienne. Hier, celui-ci s'est arc-bouté sur son raisonnement. «Les permis accordés par l'Italie aux migrants tunisiens sont valables et reconnus par la France», a insisté Franco Frattini. Pour qui «l'Europe ne va nulle part si on érige des murs» entre ses Etats.Cela n'empêche pas la majorité sarkozyste de camper sur ses positions. Pour La Droite populaire (l'aile la plus à droite de l'UMP), l'attitude de Rome envers les migrants tunisiens est «une nouvelle fois ambiguë», dixit le député des Alpes maritimes, Eric Ciotti. Pour cet autre proche de Nicolas Sarkozy qu'est le député-maire de Nice Christian Estrosi, il est «un peu facile», voire «pas acceptable», que l'Italie soit «généreuse aujourd'hui avec le territoire des autres».Ces visas temporaires octroyés aux migrants tunisiens, c'est «un incroyable appel d'air de l'autre côté de la Méditerranée, en direction du périmètre de Schengen». C'est «un signe qu'on donne aux mafias, aux criminels et aux passeurs», a renchéri la députée européenne, et ex-garde des Sceaux, Rachida Dati.Mais tout le monde, en France, n'est pas de cet avis. Dans la presse d'hier, y compris dans certains médias de droite, le ton était à la sévérité envers la «mesure panicarde» de dimanche: une «gesticulation d'un gouvernement électoraliste».L'opposition, tout autant, dénonce l'initiative du ministre Guéant. Pour le FN, ce ne sont que des «gesticulations électoralistes», d'une majorité UMP «qui cherche encore à manipuler l'opinion, en montrant ses gros bras devant les caméras, mais qui, dans les faits, laisse la situation pourrir». Aux yeux de Marine Le Pen, «Nicolas Sarkozy et son équipe ont définitivement perdu toute crédibilité dans la gestion de l'immigration».
Un gest «écoeurant»
«Les nationalistes n'arrivent pas à grand-chose» en Europe, «y compris Sarkozy», considère le PS. Pour qui ce blocage dominical de la frontière ferroviaire n'était qu'une «posture», une «décision arbitraire». C'était même un geste «écoeurant», pour les Verts: emblématique du «braconnage de la droite (sarkozyste) sur les terres du FN».L'incident tendra-t-il l'atmosphère au prochain sommet franco-italien, le 26 avril à Rome? La rencontre Sarkozy-Berlusconi était déjà rendue un peu délicate par, outre la vieille controverse autour du sort de l'ex-brigadiste Battisti, quelques contentieux industriels franco-italiens (Bulgari ou Parmalat-Lactalis). «Une ombre plane sur les relations franco-italiennes», a carrément diagnostiqué Franco Frattini. Qui espère bien que, lors de ce sommet, sera réaffirmée «la volonté de l'Italie et de la France de travailler ensemble». Sur les thématiques migratoires y compris.
Bernard Delattre, Paris, pour la Liberté
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