Après une saga de sept ans, la décision est tombée hier. Le Conseil fédéral a donné son feu vert au projet d'aire multifonctionnelle de la Joux des Ponts sur l'autoroute A12, où pourront s'arrêter les gens du voyage et les poids lourds. C'est une victoire pour le conseiller d'Etat Georges Godel qui a réussi là où tous ses prédécesseurs avaient échoué.
Georges Godel l'avait clamé haut et fort: «Ce sera ça ou rien!» Ça, c'était la création à Sâles, dans le prolongement de l'aire de repos autoroutière de la Joux des Ponts, d'une place de stationnement pour les gens du voyage. Une solution à laquelle personne ne croyait vraiment. A l'exception du conseiller d'Etat... qui a bien fait d'y croire! Hier, le Conseil fédéral a en effet accepté l'agrandissement proposé, dans le cadre d'une augmentation des aires de repos pour poids lourds le long des routes nationales.Il a le triomphe modeste, Georges Godel. Il prend garde à ne pas trop se glorifier. Il sait bien pourtant que ce dossier qui empoisonne les directeurs des travaux publics fribourgeois depuis des lustres, c'est grâce à sa ténacité qu'il trouve aujourd'hui une issue (voir chronologie en page suivante).C'est l'Office fédéral des routes qui achètera et aménagera la parcelle où s'épanouira l'aire d'accueil. L'opération immobilière a d'ailleurs d'ores et déjà été déléguée par l'OFROU au Service des autoroutes. «Nous avions signé un droit d'emption pour ce terrain, nous l'avons cédé à la Confédération», signale Georges Godel, qui espère que les choses pourront se concrétiser rapidement. Reste que la maîtrise du calendrier des travaux appartient à Berne.
Le préfet partagé
Au-delà de la satisfaction d'aboutir, le conseiller d'Etat se dit surtout content «parce que l'accès à cette place se fera uniquement par l'A12, et pas par les routes communales et cantonales. C'était important pour les habitants.» Une des rares sources de satisfaction pour les syndics des communes voisines de Sâles et Vaulruz... «Nous devons bien admettre que nous n'avons pas grand-chose à dire, nous n'avons pas de moyens d'action, ce qui est frustrant», témoigne ainsi le Sâlois Jean-Marc Piguet.Le préfet de la Gruyère - et candidat radical au Conseil d'Etat - est quant à lui partagé. Cette place sécurisée, accessible par la seule A12, proche d'un centre de la police est, d'un côté, une bonne chose. «Le bémol, c'est que la Gruyère est seule à assumer le poids de l'accueil des gitans dans le canton», déplore Maurice Ropraz, qui souligne que les gens du voyage s'arrêtent la plupart du temps dans le Grand Fribourg ou dans la Broye. Il redoute les nuisances découlant d'une présence plus régulière à la Joux des Ponts: «Leur objectif est de commercer, ils iront donc visiter les localités alentour. Cela induit de potentiels problèmes de sécurité et de troubles à l'ordre public.»Georges Godel sourit: «Les préfets connaissaient bien cette solution, la moins mauvaise possible... Et tous étaient enchantés, y compris celui de la Gruyère!» Ceux qui ne le sont pas, enchantés, ce sont les Routiers suisses. Bernard Stähli, leur président central, se fait fataliste. «Une décision du Conseil fédéral, je suppose qu'on ne peut que s'y plier... Nous n'avons rien contre les gens du voyage, mais une chose est sûre: il sera impossible de s'arrêter avec son camion lorsqu'ils seront là aussi. Il n'y aura aucune garan- tie sécuritaire pour nous et nos marchandises.»
«C'est bizarre»
En revanche la décision du Conseil fédéral satisfait le chef de la gendarmerie fribourgeoise, le lieutenant-colonel Pierre Schuwey. «Pour nous, c'est un moyen de répondre aux reproches que nous adressent les gens du voyage en affirmant que Fribourg ne propose aucune solution pour eux. Cette place sera aussi un levier d'action pour les obliger à se conformer à nos exigences.»Et du côté des principaux intéressés, que pense-t-on de la solution trouvée? «Je ne peux pas dire qu'elle est bonne ou mauvaise, je ne suis pas au courant», rapporte May Bittel, considéré comme le porte-parole des gens du voyage en Suisse. «Je trouve dommage que l'on prenne ce genre d'initiatives sans nous en parler!» Georges Godel explique de son côté avoir eu un contact avec Arnold Moillen, connu sous le nom de «Capitaine Gitan», répondant de la gendarmerie vaudoise pour les gens du voyage: «Il a soumis nos propositions au patriarche de la famille Demeter - l'une des plus importantes à sillonner la Suisse - qui lui a indiqué que l'emplacement de la Joux des Ponts était le plus favorable.» Un point de vue que ne semble pas partager May Bittel: «Obliger des gens à s'installer au bord d'une autoroute, c'est... bizarre!»
Patrick Pugin et Aurélie Lebreau dans la Liberté
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