lundi 1 février 2010

Les tribulations d'une Suissesse fiancée à un sans-papiers

Projeter d'épouser un sans-papiers, c'est aller au-devant d'un parcours du combattant. Soupçonnée d'abus au droit du mariage, condamnée pour aide au séjour illégal, une Vaudoise a galéré plus d'une année avant de recevoir le feu vert de l'état civil. «Si vous voulez vous marier avec un étranger non-européen, on vous soupçonne de vouloir contracter un faux mariage», témoigne Chantal*, qui souhaite conserver l'anonymat pour des raisons professionnelles. A partir du 1er janvier 2011, il deviendra impossible d'épouser un sans-papiers en Suisse. Avant de célébrer un mariage ou d'enregistrer un partenariat, les officiers d'état civil devront s'assurer que les deux candidats séjournent légalement dans le pays. Une révision du Code civil que le Comité des droits de l'homme des Nations Unies a jugée incompatible avec le droit au mariage. Un article de Michaël Rodriguez dans le Courrier.

«Vous êtes ici»

Certains cantons, à l'instar du Valais, n'ont cependant pas hésité à anticiper cette pratique. D'autres, comme Fribourg et Vaud, recourent à une disposition de l'actuel Code civil, qui permet aux officiers d'état civil de refuser leur concours s'ils sont manifestement face à un mariage de complaisance. Mais ils n'ont pas à mener une enquête; l'abus doit sauter aux yeux, faute de quoi les fiancés sont considérés comme de bonne foi.
Le canton de Vaud ferait-il de l'excès de zèle? De longs mois après avoir déposé leur demande de mariage, avec les papiers requis, Chantal et son fiancé sud-américain sont convoqués à l'état civil. «On pensait que c'était pour fixer la date du mariage», relate-t-elle. Pas du tout: le couple se voit remettre un document qui décrit, en une dizaine d'étapes, le déroulement de la procédure. Le texte «Vous êtes ici» pointe la deuxième case: «Avis d'ouverture de procédure en cas d'abus au droit du mariage ou du partenariat enregistré.»

Une présomption d'abus

Alors qu'aucune audition n'avait encore eu lieu, ce document annonce aux deux fiancés, en termes un brin paradoxaux: «Des doutes sérieux existent sur le fait que vous ne voulez manifestement pas fonder une communauté conjugale (...) mais éluder les dispositions sur l'admission et le séjour des étrangers.» Une formulation que Chantal juge choquante. «On dit d'emblée à des gens qui veulent se marier qu'ils cherchent à frauder la loi, s'exclame-t-elle. Et c'est à eux de démontrer que ce n'est pas le cas.» Pour Jean-Michel Dolivo, avocat et membre du Collectif vaudois de soutien aux sans-papiers, cette pratique revient à entériner une «présomption d'abus».

Condamnation pénale

Une fois ce document reçu, les deux fiancés sont interrogés séparément durant une heure. «Ils nous ont posé des questions personnelles sur la rencontre, décrit Chantal. Ils nous ont aussi demandé si nous avions des amis, et si nous pouvions citer des noms d'amis du partenaire.» Le couple a reçu tout récemment le feu vert de l'état civil. Mais non sans être passé par d'autres tribulations. Tous deux ont été condamnés pénalement, lui pour séjour illégal, elle pour incitation au séjour illégal. Résultat: des amendes avec sursis. Il leur a fallu aussi se battre sur le plan administratif, en recourant contre la décision de renvoi du fiancé sans-papiers. «Tout cela nous épuise, confie Chantal. Il faut être solide pour tenir le coup.» I
Note : * Prénom d'emprunt.

«ÇA A LE MERITE D'ETRE CLAIR»

L'État se défend de pratiquer une politique du soupçon. «En 2009, il n'y a eu que 120 auditions», indique Jean-François Ferrario, chef de la Division état civil. Résultat: 50 abandons de procédure et 17 refus, dont quatre ont été cassés en justice. Parmi les demandes de mariage déposées l'an dernier, 311 concernaient des sans-papiers. En tout, 3600 mariages ont été célébrés dans le canton. Jean-François Ferrario admet que le document remis aux fiancés soupçonnés d'abus «peut paraître assez dur». «Mais cela a le mérite d'être clair, juge-t-il. Nous cherchons à lever toute ambiguïté plutôt que d'insinuer, à travers des stratagèmes, qu'il y a des soupçons de mariage de complaisance».
Pourquoi ne pas attendre de voir les personnes? «Sur la base des papiers, on voit pas mal de choses», argumente Jean-François Ferrario. «Il arrive que la personne soit sous le coup d'une décision de renvoi qui n'a pas été exécutée, ou qu'elle soit fraîchement divorcée.» Le haut fonctionnaire estime en outre que l'Etat a «un rôle préventif» face à des unions où l'un des deux partenaires est sincère, mais l'autre pas. «Nous recevons des pressions de familles qui ne comprennent pas qu'on laisse faire.» MR

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