samedi 23 janvier 2010

Mesures réalistes?


Mathieu Cupelin - le 22 janvier 2010, 23h12
Le Matin

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Le Conseil d'Etat genevois est-il à côté de la plaque avec son nouveau plan destiné à protéger les enfants contre la mendicité? Plusieurs juristes répondent par l'affirmative. Les mesures annoncées mercredi, qui visent à sanctionner les parents qui font mendier leurs enfants, à scolariser les enfants mendiants et à placer en foyer les plus fragilisés d'entre eux, seraient inapplicables et ne tiendraient pas la route sur le plan juridique.

La nouvelle politique du gouvernement à l'égard des mendiants rencontre une assez large adhésion dans le monde politique genevois. Et aussi au sein de la population, d'après les réactions recueillies sur le site Internet du «Matin». Mais un doute revient dans le discours de certains observateurs: ces mesures ne seraient-elles que de la poudre aux yeux? Les autorités compteraient sur l'effet d'annonce pour faire partir les mendiants de Genève? Car faire condamner les parents et leur retirer la garde de leurs enfants sous prétexte qu'ils mendient ne sera pas chose aisée.

Exemple: le Service de protection des mineurs (SPMi) peut décider de retirer un enfant à la garde de ses parents par mesure d'urgence. Mais cette décision doit être avalisée par le Tribunal tutélaire. Cette instance ne peut statuer que si l'enfant est domicilié dans le canton ou si Genève peut être considérée comme son lieu de séjour habituel, explique Me Corinne Nerfin, spécialiste du droit de la famille. Ce n'est pas le cas des petits mendiants que l'on trouve dans les rues de Genève, qui ont généralement une adresse en Roumanie. Toutes les décisions du tribunal pourront donc faire l'objet de recours sous ce biais-là.

«L'état a-t-il consulté des juristes?»
«Il est certain que nous contesterons chaque décision», prévient déjà Me?Dina Bazarbachi, présidente de l'association Mesemrom, qui défend les intérêts des Roms. L'avocate est persuadée qu'elle pourra faire annuler tous les retraits de garde. Elle s'étonne même que le Conseil d'Etat n'ait pas «réfléchi davantage». «Il semble prendre des décisions sans consulter des juristes pour savoir si elles sont applicables.»

Structures saturées

Quant à savoir si les parents pourront être condamnés pour avoir mis la vie de leur enfant en danger en le faisant mendier ou en l'exposant au grand froid, Me Anne Reiser, spécialiste du droit de la famille, se dit «très dubitative». Il faudra non seulement prouver une réelle mise en danger, mais aussi faire reconnaître que l'auteur avait l'intention de mal agir et un mobile égoïste. Le facteur culturel pourra aussi être plaidé pour expliquer le comportement des parents. «Un parent suisse qui ferait la même chose serait certainement condamné. Mais, là, je demande à voir», affirme l'avocate.

Sur le plan pratique, il ne sera pas facile de faire demeurer des enfants roms dans un foyer. Les structures d'accueil sont déjà saturées. Et les enfants pourront facilement s'en échapper: «Les foyers sont des structures ouvertes, il n'y a pas de gardien, c'est un milieu éducatif», indique Olivier Baud, secrétaire général de la Fondation officielle de la jeunesse. Autre aspect problématique du placement d'un enfant: son coût, plus de 200'000 francs par année. «L'Etat a-t-il les finances et les places d'hébergement nécessaires?» se demande Anne Reiser.

Scolariser les petits mendiants ne sera pas non plus une mince tâche. Ils seront intégrés à des classes d'accueil déjà surchargées. Il faudra aussi s'assurer qu'ils fréquentent assidûment leur classe. Peut-être en les faisant accompagner par des éducateurs. «Le dispositif scolaire pour les accueillir est prêt. Mais il faudra peut-être réfléchir à une structure de prise en charge plus globale» que pour les autres élèves, indique Jean-Luc Boesiger, un responsable du Département de l'instruction publique.

Une arrestation surprenante
Les raisons de l'arrestation de la mère rom interpellée jeudi matin à l'Armée du Salut de Genève en compagnie de ses trois enfants sont maintenant connues. Elle devait purger 22 jours de prison pour n'avoir pas payé une série d'amendes, confirme la police genevoise. Ce motif fait bondir l'association Mesemrom.

Sa présidente, Me Dina Bazarbachi, rappelle qu'en décembre un arrêt de la Cour de justice avait annulé l'ensemble des amendes distribuées aux Roms, car elles n'avaient pas été notifiées correctement. Dès lors, les détentions pour non-paiement des amendes devenaient illicites. Après l'intervention de l'avocate, la mère a été libérée hier déjà et elle a pu récupérer ses enfants, qui avaient été placés en foyer. Dina Bazarbachi ne compte pas en rester là. «Je vais déposer une action en responsabilité contre l'Etat, pour demander réparation pour tort moral et détention illicite.» Le pouvoir judiciaire n'était pas en mesure hier soir de s'exprimer sur l'ordre d'écrou qui visait la femme.

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