Dans son malheur, Abdoulaye Coulibaly, un Malien de 22 ans, a doublement de la chance : il ne s'est pas noyé en mer en émigrant vers l'Espagne et il vient de se voir délivrer des papiers. Mieux, il a obtenu le statut de réfugié. Le ministère de l'intérieur espagnol vient de le lui accorder en raison des craintes de persécutions que lui fait courir au Mali la couleur de sa peau : blanche. Albinos, M. Coulibaly souffre de cette maladie génétique caractérisée par une absence de pigmentation de la peau, et associée en Afrique à des préjugés et à des pratiques de sorcellerie.
L'artiste malien Salif Keita lit un poème à des enfants albinos à Bamako en janvier 2009, au cours d'un show télévisé pour aider la population albinos. Photo AFP/HABIB KOUYATE
"On a essayé de m'enlever à deux reprises pour utiliser mon corps, a-t-il déclaré au quotidien El Pais du 22 décembre. J'ai eu très peur. Je sais qu'on a coupé les doigts (...) ou la tête à d'autres albinos pour des rituels." En mars, l'embarcation bondée où il avait pris place entre la Mauritanie et les Canaries, est tombée en panne de moteur. "Un de mes compagnons a hurlé que c'était de ma faute", témoigne-t-il encore.
La multiplication des meurtres d'albinos en Afrique de l'Est a suscité une récente mobilisation internationale. L'association SOS albinos, fondée en 1990 par le chanteur malien Salif Keita, lui-même "Noir à la peau blanche" selon son expression, mène ce combat, exigeant des gouvernements des poursuites judiciaires contre les agresseurs.
A l'automne dernier, la justice tanzanienne a prononcé sept condamnations à mort à l'encontre de meurtriers d'albinos. Depuis deux ans, près de soixante meurtres de ce genre ont été recensés en Tanzanie et au Burundi
Les enquêtes ont montré que les tueurs agissent pour le compte de sorciers qui utilisent le sang ou les membres de personnes albinos pour confectionner des potions ou des gris-gris. En Afrique de l'Ouest, les albinos sont censés être dotés de pouvoirs surnaturels ; dans l'est du continent, ils sont réputés porter chance.
Abdoulaye Coulibaly n'est pas le premier albinos à bénéficier du droit d'asile en Europe. En 2005, en France, la commission de recours des réfugiés l'a accordé à un Malien "menacé de mort" après avoir été "la cible de convoitises de la part de féticheurs en raison de l'intérêt des milieux politiques à la recherche de pouvoir".
La décision faisait état des "vertus tant magiques que thérapeutiques associées à sa peau et à ses organes". Salif Keita n'a pas fini de dénoncer "l'ignorance" qui sous-tend ces croyances, et de chanter, comme il le fait dans son dernier album : "Je suis un Noir, ma peau est blanche. Et moi j'aime bien ça. C'est la différence qui est jolie."
Philippe Bernard dans le Monde
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