lundi 13 juillet 2009

Les sans-papiers cessent leur occupation contre une promesse

LIBERATION.FR


Les sans-papiers cessent leur occupation contre une promesse

Alors que la préfecture s’engage à examiner 300 dossiers, les expulsés de la Bourse du travail, qui campent en plein Paris, ont voté la levée du mouvement

Par KARL LASKE

C’est un nouveau «Saint-Bernard» pour les sans-papiers. Discret, honteux. Une réplique de l’évacuation en 1996, de l’église du XVIIIe arrondissement de Paris, par les CRS. Après leur expulsion de la Bourse du travail par le service d’ordre de la CGT le 24 juin, les membres de la Coordination des sans-papiers 75 (CSP 75) ont fini par voter, vendredi, la levée du campement de plusieurs centaines de personnes, installé boulevard du Temple, près de la place de la République. De guerre lasse. Leur départ est prévu pour cet après-midi.

Plainte. La préfecture leur a donné la garantie que 300 dossiers seront examinés d’ici deux mois (sur les 1 174 dossiers restants), à condition qu’ils quittent le boulevard. Les «pour» se sont mis à la droite de leur porte-parole Sissoko Anzoumane, et les «contre» à sa gauche. Une majorité a décidé de mettre un terme à l’action engagée il y a quatorze mois. Les délégués de la CSP 75 préparent néanmoins le dépôt d’une plainte contre leurs agresseurs.

En décidant, le 2 mai 2008, d’occuper la Bourse du travail, la CSP 75 voulait défendre sa place dans les négociations de régularisation conduites à la préfecture exclusivement par la CGT et Droits Devant ! Si l’occupation prenait à rebrousse-poil le monde syndical, «la libération de la Bourse» selon l’expression de la CGT, tétanise, depuis quinze jours le mouvement associatif, les personnalités et les responsables politiques de gauche. Pour le Réseau éducation sans frontières (RESF), l’expulsion est «une bombe propre à faire exploser le mouvement des sans-papiers et celui de leurs soutiens». Les sans-papiers, de leur côté, déplorent qu’aucune association ne se soit «présentée au camp» depuis l’évacuation.

Les messages de condamnation ont été rares. Le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti) a jugé cette «violence inadmissible». RESF a préféré parler «d’erreurs» de part et d’autre. «On désavoue la méthode d’expulsion, mais on n’a pas soutenu l’occupation», souligne aussi Jean-Baptiste Eyrault, de Droit au logement (DAL). Quelques syndicats CGT se sont fait entendre, notamment la CGT Saint-Gobain d’Aubervilliers qui a dénoncé sans réserve «l’évacuation réalisée par un groupe de miliciens armés qui se prétendent nos camarades». La branche nationale du Livre CGT (Filpac) demande, elle, que «la responsabilité du ou des organisateurs de cette scandaleuse opération soit établie».

En face, l’Union départementale CGT de Paris (UD-CGT) à l’origine de l’expulsion des sans-papiers a reçu des soutiens. «Je ne connais pas d’expulsion qui ait été menée à coups de bouquets de fleurs, a expliqué dans un texte l’anthropologue Emmanuel Terray, au nom du collectif Ucij (Uni(e)s contre une immigration jetable), en s’en prenant aux «associations qui ont délibérément laissé les occupants de la Bourse en tête à tête avec la CGT» . Après des discussions en son sein, la Ligue des droits de l’homme n’a pas pris position sur l’expulsion, et elle a même refusé de se rendre à deux réunions de «médiation» organisées par RESF. Attac, le PCF et Lutte ouvrière se sont aussi retirés de ces discussions, le 1er juillet, parce que les membres de la CSP 75 ne voulaient pas «se réconcilier» avec la CGT-Paris.

Depuis l’action de son commando, la CGT Paris joue la discrétion. Refusant de répondre aux questions de la presse. Pourtant, elle avait ouvertement revendiqué cette opération d’expulsion le jour même. «Le mouvement syndical parisien a décidé de sortir ces femmes et ces hommes (sans-papiers) de cette impasse, et ce sans faire appel aux forces de l’ordre», avait justifié Patrick Picard, secrétaire de la CGT parisienne.

«Incompréhensible». C’est en réalité le seul service d’ordre de la CGT, dont les responsables nationaux ont été reconnus sur place, qui a été mobilisé. Armés et masqués (voir la petite photo ci-contre). «Ils ont pris le risque d’un violent affrontement avec de vrais dangers, s’indigne un syndicaliste. C’est incompréhensible.» Une dizaine de personnes ont été conduites à l’hôpital, blessées légèrement ou commotionnées. Contrôlés en quittant le bâtiment, les agresseurs ont été immédiatement relâchés. «La police qui laisse repartir tranquillement un groupe cagoulé et masqué, avec des barres, c’est quand même exceptionnel aussi», dit un militant.

Si l’ensemble des syndicats (CGT, CFDT, FO, CFTC, CGC, Unsa, Solidaires) membres de la commission administrative de la Bourse s’étaient plaints, en février, de l’occupation «totalement contre-productive» des sans-papiers, aucun mandat n’avait été donné à la CGT pour agir, et aucune plainte ou demande d’expulsion n’avaient été déposées. «On a dit qu’on ne soutiendrait aucune action d’expulsion, précise Didier Fontaine, du syndicat Solidaires Paris. A aucun moment, la CGT ne nous a informés de ce qu’elle allait faire.» Les locaux sont d’ailleurs la propriété de la Ville de Paris, et non pas de la CGT. «L’occupation n’entravait pas le fonctionnement de la Bourse», pondère un permanent.»

Tout en cherchant une solution de compromis, Jacques Boutault, le maire (Verts) du IIe arrondissement s’indigne de l’expulsion. «C’est quoi la Bourse du travail, c’est une rente de situation immobilière, ou c’est un lieu d’action et de revendication ? déclare-t-il. Pour une fois qu’il s’y passait quelque chose d’un peu créatif. En février, j’avais dit à Patrick Picard que la solution violente serait la pire des choses. Mais finalement il a mis sa menace à exécution.»

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