MARTINE CLERC | 25.03.2009 | 00:01
Fahad K. est incarcéré depuis lundi à Zurich. L’arrestation surprise du requérant d’asile irakien alors qu’il se rendait à l’Office cantonal des migrations a provoqué la stupeur de ses défenseurs. Fahad K. a en effet été interpellé avant même que son avocate ne soit mise au courant de la décision négative du Tribunal administratif fédéral (TAF).
Une chose est sûre: dans trois jours, peut-être plus, le jeune homme, que le cinéaste lausannois Fernand Melgar a filmé dans son documentaire La Forteresse, devrait être renvoyé en Suède. De là, il serait exposé à l’expulsion vers Bagdad où il risque la mort.
❚ Fahad K. est-il tombé dans un guet-apens? C’est l’accusation lancée par Fernand Melgar. «Lundi, Fahad, à la demande de l’Office fédéral des migrations (ODM), s’est rendu confiant à l’Office des migrations de Zurich pour s’y inscrire, car il avait été attribué à ce canton. C’était un piège. Il y a été immédiatement arrêté.» Elise Shubs, mandataire juridique de l’Irakien, dénonce: «La décision du TAF ne m’est parvenue que lundi après-midi, au moment même de l’arrestation, alors que l’arrêt était daté du 19 mars. C’est incompréhensible!»
«Il ne s’agit pas d’un piège, mais d’un hasard», corrige-t-on à l’ODM. La police zurichoise aurait-elle été prévenue avant même la mandataire de l’Irakien? «Absolument pas. La mandataire a bien été la première informée lundi, puis l’ODM et enfin l’Office des migrations du canton de Zurich», assure Magnus Hoffmann, porte-parole du TAF. La police aurait été avertie par l’Office cantonal des migrations.
❚ Pourquoi le renvoi? Le TAF se base principalement sur l’application des accords de Dublin: le requérant d’asile est renvoyé dans le premier pays de l’espace Dublin où il a déposé une demande, en l’occurrence la Suède. L’arrêt précise que l’Etat scandinave respecte les conventions internationales sur l’asile.
❚ La Suisse avait-elle le choix? En clair, les juges fédéraux auraient-ils pu appliquer la clause de souveraineté permettant le traitement de la demande de Fahad K. par la Confédération? «En principe oui, estime Francesco Maiani, professeur à l’Institut des Hautes Etudes en administration publique. Mais en l’espèce, le TAF a fait preuve d’une très grande retenue vis-à-vis de la décision de l’ODM de ne pas appliquer cette clause.» En aucun cas Fahad K. ne pouvait être considéré comme un «cas de rigueur», la durée de sa présence en Suisse n’étant pas suffisante.
❚ Sera-t-il renvoyé en Irak? Possible, via la Suède qui a déjà refusé sa demande d’asile. Mais les juges du TAF assurent avoir des garanties de l’Etat scandinave que Fahad K. pourra déposer un recours dès son arrivée à Stockholm. Il pourra ainsi demeurer en Suède jusqu’à l’issue de la procédure. «Il s’agit de garanties claires dont le tribunal ne voit aucune raison de mettre en doute la fiabilité», tranche le TAF. Elise Shubs nourrit des doutes. L’an dernier, l’Irakien n’avait pas pu faire valoir ses droits dans le temps imparti. Elle rappelle la politique d’asile restrictive de la Suède, qui a mis en place des procédures accélérées pour renvoyer chez eux les migrants irakiens. Précisons que la Suisse, la France et Amnesty International (AI) sont à l’heure actuelle opposés à tout renvoi forcé vers l’Irak. La section suisse d’AI a déjà pris contact avec son homologue suédoise pour garantir un soutien à Fahad K. dès son renvoi.
❚ Que répond Eveline Widmer-Schlumpf? Mi-mars, la conseillère fédérale avait reçu Fernand Melgar à Berne pour évoquer le sort de l’Irakien. Le réalisateur s’était dit touché par son «écoute bienveillante». Aujour d’hui, il se sent «profondément trahi». Invitée hier à Genève par le Club suisse de la presse, la ministre a estimé que même si le cas de Fahad K. a été médiatisé et que le sujet est émotionnel, il n’y a pas de raison de le traiter différemment des autres requérants. Elle a soutenu la décision de non-entrée en matière de ses services, rappelant que l’Irakien dispose encore en Suède d’une possibilité de recours. Sur l’arrestation à Zurich: «Il n’y a pas eu de piège. Si la décision du TAF est tombée au moment où Monsieur K. était à Zurich, c’était un hasard. La loi a été appliquée.»
La loterie des cas de rigueur est dénoncée
Pour obtenir un permis B humanitaire (cas de rigueur), mieux vaut se trouver sur territoire vaudois ou genevois qu’à Zurich ou à Zoug. Entre 2007 et 2008, Vaud, champion toutes catégories, a délivré plus de 500 permis humanitaires, suivi de Genève, avec 200. Les lanternes rouges Zurich et Zoug ont distribué moins de 20 permis chacun. Cette inégalité de traitement est vivement dénoncée par
l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), qui souhaite que Berne donne des instructions claires aux cantons.
Marge d’appréciation
Aujourd’hui, la question des cas de rigueur est abandonnée largement à l’appréciation des cantons. De passage à Genève hier, la conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf a défendu l’autonomie des cantons tout en admettant la critique. «Nous travaillons à l’harmonisation des critères, mais ceux-ci ne seront jamais complètement identiques: les cantons bénéficient d’une marge de manœuvre importante et c’est normal.»
Dans la Loi sur l’asile, les requérants déboutés, ceux qui sont en cours de procédure ou ceux au bénéfice d’admission provisoire peuvent être considérés comme «cas de rigueur» à certaines conditions.
En danger de mort ou risque de torture
La première est clairement formulée dans la loi: cinq ans de séjour au minimum sur le territoire suisse. Deuxièmement, le requérant doit être dans l’impossibilité de réintégrer son pays d’origine. Eveline Widmer-Schlumpf a donné hier son interprétation: «Cela signifie que le requérant est en danger de mort ou qu’il risque la torture en cas de retour.»
Viennent ensuite les critères qui permettent d’évaluer le degré d’intégration du requérant dans la société suisse: maîtrise de la langue du canton d’accueil, situation économique, présence d’une famille avec des enfants scolarisés, respect des lois.
Pas de droit au permis humanitaire
Ces éléments sont laissés à l’appréciation des cantons. Ce qui explique une partie des disparités. Pour le reste, les différences découlent du fait qu’il n’y a pas de droit au permis humanitaire. Chaque canton est libre d’octroyer ou non ces permis à ceux qui en font la demande. Formellement, c’est Berne qui octroie le permis, mais il est assez rare, pour les cas de rigueur, que l’Office des migrations (ODM) ne suive pas les cantons. Si Zurich ou Zoug ne délivrent presque pas de permis, c’est donc simplement parce qu’ils ne les demandent pas. Au nom d’une politique migratoire plus restrictive.
Cédric Waelti
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