samedi 27 septembre 2008

LLes musulmans prêts à faire une croix sur le minaret


RÉACTIONS | Le peuple suisse devra se prononcer sur l’initiative antiminarets. Le texte a déjà fait grand bruit. Mais qu’en pensent les principaux intéressés? Réponses de musulmans de la mosquée de Genève et du Centre islamique de Lausanne.
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© PASCAL FRAUTSCHI | En Suisse, on trouve entre 130 et 140 lieux de prières musulmans. Seul deux, dont celui de Genève (photo), ont un minaret.

STÉPHANIE ARBOIT | 27.09.2008 | 00:04

L’incompréhension. Sans animosité, mais presque avec incrédulité. C’est
le sentiment qui domine, face à l’initiative antiminarets, au Centre
islamique de Lausanne. Avant le repas de rupture du jeûne – Ramadan
oblige –, parmi le va-et-vient vers la salle de prière aux tapis
colorés, les hommes se plient volontiers aux questions. Sauf, bien
entendu, ceux qui sont en retard pour leurs oraisons.

L’initiative suscite parfois un «sentiment désagréable», voire de la
douleur. «Ça me fait un peu mal», avoue le Camerounais Idriss, 30 ans.
Mais quelques-uns restent indifférents, comme Hadi, 49 ans, d’origine
cambodgienne, en Suisse depuis trente-cinq ans et converti à l’islam
depuis vingt-deux ans: «Cette initiative ne me fait ni chaud ni froid.»

En cela, Hadi est proche des musulmans interrogés devant la mosquée
de Genève. L’édifice, qui se fond dans le paysage, sert 700 repas
chaque soir pendant le Ramadan. D’où des visiteurs bigarrés. Qui
balaient en riant l’initiative comme un «faux problème».
Mais ne serait-ce pas parce que leur centre possède déjà son minaret,
et ce depuis 1975? «Non, pas besoin de minaret pour prier. L’objet
architectural n’a aucune incidence sur notre foi, qui se trouve dans
notre cœur» est la réponse qui fait l’unanimité, et ce d’ailleurs aussi
bien au bout du lac que dans la capitale vaudoise.

Seul Mourad, 45 ans, soulève une autre explication au «désintérêt»
général pour l’initiative: «Nous ne donnons pas d’importance à ce texte
pour ne pas créer de problème. Pour ne pas offenser les Suisses non
musulmans. De même que nous ne vous demanderons pas de mettre un voile
pour rentrer dans notre centre.»

Cette ouverture qu’ils prônent les fait dénoncer l’argument de
réciprocité, souvent mis en avant dans le débat sur les minarets. «En
Tunisie ou en Syrie où j’ai étudié, cela ne m’est jamais venu à
l’esprit de m’élever contre les cloches des églises! Et les peuples de
ces pays n’y pensent pas non plus!» insiste Wahid, 50 ans, qui essaie
de faire reconnaître en Suisse sa formation de juriste tout en
pratiquant dans l’intervalle le métier d’apiculteur.

Contre les minarets ou contre les musulmans?

«C’est la démagogie du bla-bla»: beaucoup de croyants dénoncent «la
dimension électoraliste de l’initiative, qui joue sur les peurs au lieu
d’essayer de comprendre ce qu’est l’islam» et stigmatise une catégorie
de croyants.

G., 41 ans, d’origine suisse allemande, refuse de révéler son prénom
parce que «la religion relève de la sphère privée» et qu’il ne souhaite
pas que ses collègues de travail apprennent qu’il est musulman. «Les
tenants de l’initiative assimilent l’islam aux Arabes et aux requérants
d’asile, estime-t-il. Pour eux, qu’un Suisse comme moi se soit converti
est incompréhensible. Je votais UDC et il y a encore des choses qui me
plaisent dans le discours de ce parti. Mais sur certains points, il va
trop loin.»

«Moi aussi je suis «Suisse de souche» et ils ne peuvent donc pas me
foutre dehors!» renchérit Christophe, 42 ans, converti depuis 1995.
Confiance dans la démocratie semi-directe

Autre Suisse «depuis toujours», Jérôme, 39 ans, ingénieur civil
converti depuis quinze ans, s’étonne: «Mettre dans la Constitution un
article qui concerne la police des constructions est un abus de notre
démocrate semi-directe, qui n’est pas faite pour régler ses comptes
avec telle ou telle communauté.» Wahid, justement, a foi dans le système suisse: «C’est exclu que
l’initiative passe, car le peuple suisse est un peuple de paix qui
n’acceptera pas ce système de guerre.»

«J’espère qu’en tant que musulmans nous profiterons de l’initiative
pour sortir du bois et montrer notre visage, qui n’est pas mauvais et
extrémiste, contrairement à ce que l’on voudrait faire croire»,
conclut, dans le même élan d’optimisme, Jérôme.



Différents aspects du minaret

«Le fait d’avoir des minarets sur nos lieux de prière n’est pas prioritaire, affirme Adel Mejri, président de la Ligue des musulmans de Suisse. La preuve: il y a environ 130 à 140 centres islamiques sans minarets en Suisse, contre seulement deux mosquées avec.»

C’est que l’islam n’impose pas le minaret, qui n’est en aucun cas sacralisé. «Même dans les pays musulmans, le minaret n’est pas toujours présent dans les villes, sauf sur les grandes mosquées, symboles de beauté et de pouvoir comme ont pu l’être nos cathédrales, explique Stéphane Lathion, historien et chercheur au Groupe de recherche sur l’islam en Suisse (GRIS). Historiquement, il servait à situer le lieu de culte, comme nos clochers.» L’autre fonction pratique étant l’appel à la prière. «Mais qui peut tout aussi bien se faire depuis le perron de l’entrée du lieu de culte.»

En dernier lieu, il ne faut pas oublier la dimension de mémoire ou d’affectivité: «Le minaret aide certaines personnes à identifier le lieu qu’elles voient comme étant bel et bien une mosquée. Dans une dynamique d’exil ou d’immigration, il peut être rassurant de penser «cela ressemble au pays que j’ai quitté». ST. A.



Non aux minarets et non à leurs détracteurs

L'édito de Nicolas Verdan, rédacteur en chef adjoint

Les minarets n’intéressent pas les musulmans de Suisse. Ils nous le disent. L’initiative visant leur interdiction leur apparaît même surréaliste. Indifférence, volonté de ne pas offenser la culture dominante judéo-chrétienne, inutilité de l’édifice en question, la majorité d’entre eux désamorce la polémique. Pour se distancier d’un débat jugé sans objet.

Prenant à rebours à la fois les adversaires les plus farouches des minarets et ceux qui les défendent la bouche en cœur, au nom d’une «ouverture» empreinte de politiquement correct, la communauté islamique donne même une leçon de bon sens. Pourquoi s’embarrasser de tels édifices, aujourd’hui inutiles à l’équilibre confessionnel? Notre pays offre la liberté de culte aux musulmans. Tous ceux qui ressentent l’envie ou le besoin de prier le savent. Point besoin de muezzin pour les rappeler au bon souvenir de l’imam. L’heure des cultes est connue au sein de la communauté. Les affichettes et les courriels suffisent à l’appel.

Dès lors, pourquoi des tours flanquées aux coins des mosquées? A l’origine, la fonction du minaret, comme celle du clocher, servait de point de repère aux fidèles. Les détracteurs des minarets ne s’en rendent pas compte. Leur initiative vise en fait des moulins à vents. Or, cette croisade qui fait soupirer le musulman de Suisse, l’«ennemi» désigné, n’est pas seulement dérisoire. Elle est aussi bête que dangereuse. En jouant avec des peurs sans fondement, comme celle de nos villes hérissées de tours islamiques, les initiants donnent une fausse image de la Suisse. L’islam y serait bafoué, ses fidèles interdits de prière et
les mosquées bannies de l’espace public. Un portrait peu avantageux, brossé par de «bons Suisses» et qui s’achètera roupie comptante dans les pires souks islamistes. Retours de flamme garantis.

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